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Berlin 36

Berlin 36

Titel: Berlin 36
Autoren: Alexandre Najjar
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appelle sa femme. Je frissonne : Marlene Owens ressemble beaucoup à son père.
    Je me présente et lui offre une bouteille de bordeaux. Elle me remercie, m’invite à m’asseoir et se met à me parler de « lui » avec fierté et pudeur. Elle me raconte comment, durant les dernières années de sa vie, après avoir accumulé les ardoises, son père s’était mis à sillonner le monde pour rencontrer les jeunes, comment il jouait au golf contre son fidèle rival, Ralph Metcalfe, qu’il battait toujours comme au bon vieux temps, comment il était mort d’un cancer de la gorge parce qu’il fumait trop, lui, le sportif modèle.
    Une heure passe. N’y tenant plus, le mari ouvre la bouteille de vin. Nous levons notre verre à la mémoire de Jesse Owens.
     
    Le lendemain matin, je prends l’avion pour Columbus et me rends en taxi jusqu’à l’université de l’Ohio, située hors du centre-ville. Dans le bâtiment réservé aux archives, je me plonge dans les photos et les papiers personnels de Jesse Owens, légués à l’institution par sa femme. Le champion m’apparaît alors moins mythique, plus humain : le journal intime qu’il tenait pendant son séjour à Berlin est rédigé d’une écriture enfantine ; il révèle toute la simplicité du personnage.
     
    Pour clore mon voyage, je m’envole pour l’Alabama. Le matin, je me rends au Birmingham Civil Rights Institute, dédié au combat des Noirs contre la ségrégation. Belle leçon d’histoire et d’humilité. J’y vois la porte de la cellule où Martin Luther King écrivit, le 12 avril 1963, sa fameuse Lettre de Birmingham ; le bus des « Freedom riders  » qui était censé forcer les barrages de la haine et fut saccagé par des Blancs en colère ; la photo de Rosa Parks, emprisonnée pour avoir refusé de céder sa place à un Blanc dans un bus de Montgomery ; des images de la fameuse marche sur Washington en mai 1963 ; et des pancartes, insoutenables, portant l’inscription « Colored » ou bien « For white customers only » , qui, toutes proportions gardées, rappellent tristement les slogans antijuifs peints en Allemagne par les nazis sur les vitrines de certains commerces. A la sortie, je ne peux m’empêcher d’avouer au gardien : « I’m ashamed to be white. » J’ai honte, oui, honte d’être blanc.
    L’après-midi, je prends la route pour Oakville, la ville natale de Jesse Owens. Le chauffeur de taxi s’appelle Michael. Il est si obèse qu’il monte de biais dans sa voiture et recule à fond son siège pour éviter que son ventre ne bloque le volant. Il est drôle, serviable, mais s’exprime avec un accent très prononcé.
    — Un mémorial Jesse Owens à Oakville ? s’étonne-t-il. Je fais ce métier depuis dix ans, personne ne m’a jamais demandé d’y aller.
    — Eh bien, je vous le demande.
    — Il y a toujours une première fois ! s’esclaffe-t-il en démarrant.
     
    Oakville est un trou perdu au milieu de nulle part. On y accède par des chemins mal goudronnés qui serpentent à travers des prairies verdoyantes parsemées de maisons de bois aussi petites que des camping-cars. Le mémorial consacré à Jesse Owens comprend trois espaces : le musée où sont exposés objets personnels et photos ; une reconstitution de la maison familiale des Owens à l’époque où le père, Henry, travaillait encore dans la plantation de coton, et une piste de saut en longueur flanquée d’une balise qui indique au visiteur incrédule la distance franchie par le champion lorsqu’il pulvérisa le record du monde de cette discipline. Au milieu du parc, une statue en bronze, représentant Jesse Owens en action derrière cinq anneaux géants enchevêtrés, comme si le destin de l’athlète était intimement lié aux jeux Olympiques ; comme si, pour lui, le temps s’était arrêté en 1936.
     
    Quinze jours plus tard, je prends l’avion pour Berlin. Autrefois synonyme d’exclusion, la ville est devenue, depuis la chute du Mur il y a vingt ans, symbole de convivialité. Instinctivement, la fameuse formule du président Kennedy me revient à l’esprit : « Ich bin ein Berliner. » Berlin et Beyrouth ont connu le même destin : divisées en deux, séparées par une ligne de démarcation, puis réunifiées, elles n’ont pas encore pansé toutes leurs plaies, mais vivent, orgueilleuses et libres, dans l’insouciance. Berlin est à l’Occident ce que Beyrouth est à l’Orient : un carrefour, un
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