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Barnabé Rudge - Tome II

Barnabé Rudge - Tome II

Titel: Barnabé Rudge - Tome II
Autoren: Charles Dickens
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quand même il n'aurait jamais respiré auparavant un
atome de tabac, et qu'il aurait dû se donner des convulsions à
force d'éternuer ? Pour ce qui est du distillateur cramoisi,
quel est l'homme qui a vécu dans ce temps-là et qui ne l'a jamais
vu au Maypole, aussi à son aise dans la belle chambre que s'il
était chez lui ? Et pour ce qui est des fêtes, des baptêmes,
des galas de Noël et de la célébration des anniversaires de
naissance, de mariage, je ne sais pas de quoi, ou au Maypole ou à
la Croix d'Or… si vous n'en avez pas entendu parler, vous n'avez
donc entendu parler de rien.
    M. Willet Senior, s'étant fourré dans
l'esprit, on ne sait par quel procède extraordinaire, que Joe avait
envie de se marier, et qu'en sa qualité de père il ferait bien de
se retirer dans la vie privée, pour mettre son fils à même de vivre
à son aise, choisit pour résidence un petit cottage à Chigwell. On
y élargit l'âtre ; on agrandit la cheminée pour lui ; on
y pendit le chaudron à la crémaillère, et surtout on y planta, dans
le petit jardin devant la porte de la façade, un petit mai pour
rire, de manière qu'il se trouva tout de suite chez lui. C'est là,
dans sa nouvelle habitation, que Tom Cobb, Phil Parkes et Salomon
Daisy venaient régulièrement tous les soirs, et que, dans le coin
de la cheminée, ils gobeletaient tous les quatre, fumant, phrasant,
faisant un somme tout de même qu’au temps jadis. Comme on découvrit
par hasard, au bout de peu de temps, que M. Willet avait l'air
de se considérer encore comme aubergiste de profession, Joe lui
procura une ardoise, sur laquelle le bonhomme inscrivait
régulièrement des comptes énormes de dépenses pour la consommation
de viande, de liquide et de tabac. À mesure qu'il avança en âge,
cette passion redoubla d'ardeur, et son plus grand plaisir était
d'enregistrer à la craie, au nom de chacun de ses vieux camarades,
une somme fabuleuse, impossible à payer jamais ; et la joie
secrète qu'il éprouvait à établir ses chiffres était telle, qu'on
le voyait toujours aller derrière la porte pour jeter un coup d'œil
à son tableau, et revenir avec l'expression de la satisfaction la
plus vive.
    Il ne se remit jamais bien de la surprise que
lui avaient faite les insurgés, et resta dans la même condition
mentale jusqu'au dernier moment de sa vie, qui fut bien près de se
terminer brusquement la première fois qu'il vit son petit-fils, car
ce spectacle parut frapper son esprit de l'idée qu'il était arrivé
à Joe quelque miracle d'une nature alarmante. Heureusement, une
saignée pratiquée à propos par un habile chirurgien le tira de
là ; et, quoique les docteurs fussent tous d'accord, quand il
eut une attaque d'apoplexie six mois après, qu'il allait mourir, et
qu'ils eussent trouvé très mauvais qu'il n'en fît rien, il resta en
vie… peut-être par suite de sa lenteur constitutionnelle… encore
sept ans en sus ; mais cette fois on le trouva un beau matin
dans son lit, privé de la parole. Il resta dans cet état, sans
souffrir, toute une semaine, et reprit subitement connaissance en
entendant la garde murmurer à l'oreille de son fils que le vieux
papa s'en allait :
    « Oui, Joseph, je m'en vais, dit
M. Willet se retournant vivement, dans la Savaigne. »
    Et immédiatement il rendit l'esprit.
    Il laissa un joli magot. Son bien était plus
considérable qu'on ne l'avait cru ; quoique les voisins,
suivant la coutume pratiquée par le genre humain, quand il calcule
par supposition les économies d'autrui, eût estimé la sienne
rondement. Joe, son unique héritier, devint par là un homme
conséquent dans le pays, et surtout parfaitement indépendant.
    Il se passa quelque temps avant que Barnabé
put prendre le dessus du coup qu'il avait reçu, et recouvrer sa
santé et son ancienne gaieté. Cependant il revint petit à petit,
et, sauf qu'il ne put jamais séparer sa condamnation et sa
délivrance de la supposition d'un songe terrible, il devint, à
d'autres égards, plus raisonnable. À dater de son rétablissement,
il eut la mémoire meilleure et plus de suite dans les idées mais un
nuage obscur plana toujours sur le souvenir de son existence
première, et ne s’éclaircit jamais.
    Il n'en fut pas plus malheureux pour
cela ; car il conserva toujours avec la même vivacité son
amour de la liberté et son intérêt sympathique pour tout ce qui a
le mouvement et la vie, pour tout ce qui puise son être dans les
éléments. Il
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