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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres
Autoren: Gitta Sereny
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immédiatement par réfuter diverses accusations portées contre lui au procès. Les arguments, la phraséologie, les termes mêmes dont il se servait, avaient la résonance agaçante des auditions de tous les procès des criminels nazis. Il n’avait rien à se reprocher ; il avait toujours eu des supérieurs hiérarchiques : il n’avait fait qu’obéir aux ordres ; personnellement, il n’avait jamais fait de mal à personne. C’est d’une tragédie de guerre qu’il s’agissait et – malheureusement – il se produisait des tragédies de guerre partout. « Pensez à Katyn, dit-il, à Dresde, à Hiroshima, et aujourd’hui au Vietnam. » Il plaignait, il plaignait – oui vraiment – ce jeune lieutenant américain qui, à May Lay n’avait fait comme lui qu’obéir aux ordres, et qui en subissait maintenant les conséquences.
    Je l’écoutai tout le matin sans presque l’interrompre. Son procès était en instance d’appel et il était clair qu’on lui avait conseillé, ou qu’il s’était persuadé lui-même que ces « entretiens » l’aideraient (et peut-être croyait-il même que c’était là leur objet) à régler son cas de la seule façon dont le cas des gens comme lui a toujours été réglé. Nuremberg, où les arguments avancés par la défense pour quelques-uns des accusés avaient frôlé une certaine vérité d’assez près pour jeter au moins le doute sur la nature de leur culpabilité, constituait un précédent. Il y avait là une technique qui, faute de mieux, avait été reprise postérieurement par tous ceux qui avaient succédé aux accusés de Nuremberg au banc des prévenus, quel que fût leur rang ou la nature de leur participation. Mais ce n’était pas pour polémiquer que j’étais venue.
    Un peu avant l’interruption du déjeuner (on m’avait avertie que je devrais lui laisser tout le temps qu’il souhaitait pour manger et se reposer) je lui dis qu’après l’avoir écouté pendant deux heures et demie, le mieux était que je lui explique exactement ce pour quoi j’étais là. Il aurait ainsi le loisir d’y réfléchir pour me faire savoir après le repas s’il désirait poursuivre. Je dis que je savais déjà par cœur tout ce qu’il venait de me dire ; tout cela avait déjà été dit et redit par des centaines d’autres. Je ne souhaitais pas argumenter sur le bien ou le mal fondé de ces points ; à mes yeux ça n’aurait aucun sens. C’était pour tout autre chose que j’étais venue : pour l’entendre me parler vraiment de lui : de l’enfant, du petit garçon, de l’adolescent, de l’homme qu’il avait été ; de son père, de sa mère, de ses amis, de sa femme et de ses enfants ; pour apprendre non ce qu’il avait fait ou n’avait pas fait, mais ce qu’il avait aimé et ce qu’il avait détesté, et ce qu’il éprouvait à propos des épisodes de sa vie qui l’avaient conduit dans la pièce où il se trouvait actuellement. S’il ne voulait pas le faire, s’il préférait poursuivre le genre de récitatif de la matinée, alors je l’écouterais, lui dis-je, jusqu’à la fin de l’après-midi et je retournerais en Angleterre y écrire un Petit quelque chose sur notre entretien et c’en serait fini. Mais si, après avoir réfléchi, il décidait de m’aider à pénétrer plus profond dans le passé ( son passé à lui car c’est à lui et en lui qu’étaient arrivées des choses que presque personne d’autre n’avait connues), alors nous pourrions peut-être découvrir ensemble une vérité ; une vérité neuve qui jetterait un éclair unique dans un domaine jusqu’alors incompréhensible. S’il était d’accord pour le tenter, j’étais prête à rester à Düsseldorf aussi longtemps qu’il le faudrait ; durant des jours ou des semaines. Je lui dis aussi qu’il importait qu’il sache dès le départ que j’avais en horreur tout ce que les nazis avaient fait et représenté, mais que je lui promettais de reproduire exactement ce qu’il dirait, quel qu’en soit le contenu et que je m’efforcerais – sans égard à mes propres sentiments – de comprendre sans idée préconçue.
    Quand j’eus terminé, il se borna à acquiescer de la tête en silence. Et quand, quelques instants plus tard, le gardien vint le chercher pour le raccompagner à sa cellule, il quitta la pièce sans autre manifestation qu’un petit salut raide. Je n’étais pas du tout sûre de le revoir.
    Ce jour-là je déjeunai à la
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