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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres
Autoren: Gitta Sereny
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italique.
    Les phrases entre crochets sont des précisions de l’auteur.

1
    Ma première rencontre avec Franz Stangl eut lieu le vendredi 2 avril 1971 dans une petite pièce qui servait de salle d’attente et de repos aux avocats en visite, au quartier de détention provisoire de la prison de Düsseldorf. La pièce était de la dimension des cellules du bâtiment moderne de la prison, où Stangl était détenu. Elle avait les mêmes barreaux à la fenêtre, la même morne vue sur la cour intérieure, le même genre de mobilier minimum en bois de pin clair verni. Tout était neutre, impersonnel, rien d’attirant ni d’édifiant, mais rien non plus qui pût distraire l’œil ou l’esprit. Exactement l’endroit qu’il fallait pour passer les soixante-dix heures qui m’attendaient en compagnie de cet homme.
    Le 22 décembre 1970, quand le tribunal de Düsseldorf eut condamné Stangl à la détention perpétuelle pour la responsabilité dans le meurtre de 900 000 personnes commis durant son temps de commandement à Treblinka, le « Chasseur de nazis », Simon Wiesenthal qui avait joué un rôle dans sa capture, déclara aux journalistes que la condamnation de Stangl par les Allemands était au moins aussi importante que celle d’Adolf Eichmann par les Israéliens. « Le cas Stangl, dit-il, a fourni à l’Allemagne de l’Ouest son affaire criminelle ta plus significative du siècle. N’aurais-je fait rien d’autre dans ma vie que d’attraper ce misérable, je n’aurais pas vécu en vain. »
    On avait du mal à reconnaître dans cette description le personnage calme et courtois que le directeur de la prison me présenta ce matin-là.
    Soixante-trois ans, grand, bien bâti, grisonnant, le front dégarni, Franz Stangl avait le visage profondément marqué et les yeux bordés de rouge. Il portait un pantalon de flanelle grise, une chemise blanche, une cravate et un chandail gris très net. Cela faisait quatre ans et deux semaines qu’il était en prison, pratiquement tout ce temps dans l’isolement. Pendant les trois ans qu’avait duré la préparation du procès, la prison avait également hébergé plusieurs de ses anciens subordonnés et l’on avait pris les précautions les plus rigoureuses pour les empêcher de communiquer entre eux. Mais même après le transfert de ces derniers dans un autre lieu de détention, une fois le verdict prononcé, il était resté à l’isolement dans sa cellule de six pieds sur douze parce que plusieurs jeunes prisonniers avaient grommelé contre lui des menaces de mort.
    Quelques jours à peine avant notre rencontre, les autorités avaient décidé, devant l’aggravation de sa dépression, de lui accorder une séance quotidienne d’exercice dans la cour de la prison et quelques contacts avec des prisonniers sélectionnés. « Mais même à présent, il ne parle guère avec personne », me dit plus tard un gardien. « C’est un solitaire. » Il passait la majeure part de la journée dans sa cellule, à lire et écouter la radio, au milieu de ses quelques objets personnels, rangés avec un ordre méticuleux.
    En dépit de cette vie toute sédentaire, Stangl était musclé, le dos très droit et paraissait à la fois détendu et maître de soi.
    Le directeur de la prison, Herr Eberhard Mies, ancien avocat, et lui se serrèrent la main en s’inclinant. Stangl s’inclina de nouveau quand il me fut présenté et chaque fois plutôt avec courtoisie qu’avec déférence ou même respect. Herr Mies le questionna sur sa santé. Tranquillement, sur le ton de la conversation, Stangl répondit, dans l’allemand adouci des Autrichiens et à la façon un peu cérémonieuse enseignée dans les écoles de province, qu’il se sentait mieux. « Je me suis inscrit au club d’échecs, dit-il, et je pense que j’assisterai à quelques-uns des cours qui reprendront après Pâques ; les cours de littérature probablement, cela m’intéressera. Ils auront bien lieu deux fois par semaine ? » Chose inattendue, on aurait dit une rencontre entre égaux. Ce Stangl-là, très différent du « petit homme » qu’on m’avait annoncé, donnait l’impression inquiétante d’une personnalité imposante et dominatrice, en pleine possession de ses moyens et de son emprise sur l’entourage.
    L’impression persista tout au long de la matinée, et cela en dépit de son appréhension évidente devant les entretiens qui allaient suivre. On nous laissa seuls et il commença
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