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Au Fond Des Ténèbres

Au Fond Des Ténèbres

Titel: Au Fond Des Ténèbres
Autoren: Gitta Sereny
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idiots là-dedans – des abrutis. Quelquefois j’ouvrais la bouche et j’y allais. “Bon Dieu je leur disais, l’euthanasie vous a bien ratés vous autres, non ?” et en rentrant, je disais à ma femme : “L’euthanasie les a oubliés, ces idiots-là. “ »
    À la fin – il était maintenant très tard, j’ai demandé : Croyez-vous que cette période en Pologne vous ait appris quelque chose ?
    « Oui », a-t-il répondu. La voix redevenue calme et pensive – et la brusquerie croissante de ces métamorphoses à répétition ajoutait encore à leur effet déconcertant. « Ça m’a appris que tout ce qui est humain a sa source dans la faiblesse humaine. »
    Vous avez dit précédemment que vous pensiez que les Juifs avaient peut-être été choisis « à dessein » pour subir cette « énorme secousse ». En disant « à dessein », c’est à Dieu que vous pensiez ?
    « Oui. »
    Qu’est-ce que Dieu ?
    « Dieu est tout ce qui est au-dessus de moi, que je ne peux pas comprendre mais à quoi je peux seulement croire. »
    L’effrayante distorsion de sa pensée s’était dévoilée peu à peu au cours de nos entretiens. Et de nouveau, voilà que je la retrouvais au dernier moment.
    Dieu était-il à Treblinka ?
    « Oui, a-t-il dit. Sinon comment cela aurait-il pu arriver ? »
    Mais Dieu n’est-il pas bon ?
    « Non, a-t-il dit lentement. Je ne dirais pas cela. Il est à la fois bon et méchant. Mais aussi, les lois sont faites par les hommes ; et la foi en Dieu dépend des hommes – alors ça ne prouve pas grand-chose, n’est-ce pas ? La vérité c’est qu’il y a des choses que la science ne peut expliquer, il faut donc bien qu’il y ait quelque chose au-delà de l’homme. Dites-moi, pourtant, quand un homme a un but qu’il appelle Dieu, que peut-il faire pour l’atteindre ? Vous le savez ? »
    Ne croyez-vous pas que cela varie avec chacun ? ne croyez-vous pas que, dans votre cas, ça pourrait être chercher la vérité ?
    « La vérité ? »
    Oui, vous regarder vous-même en face. Peut-être pour commencer, quelque chose comme ce que vous faites depuis toutes ces semaines.
    La réponse est tombée automatiquement, avec une intransigeance automatique. « J’ai la conscience nette sur tout ce que j’ai fait moi-même », a-t-il dit dans les mêmes termes, du même ton rigide qu’il avait employé à son procès, puis avec moi au cours des semaines écoulées, inlassablement, chaque fois que nous étions revenus sur ce sujet. Mais cette fois-là, je n’ai rien dit. Il s’est arrêté et il a attendu, mais tout est resté en silence.
    « Je n’ai jamais fait de mal à personne volontairement, moi-même », a-t-il dit d’une voix différente, moins énergique et moins incisive, et de nouveau, il a attendu un long moment. Pour la première fois tout au long de ces semaines, je ne lui avais offert aucune aide. Il ne nous restait plus de temps. Il a saisi des deux mains le rebord de la table comme pour s’y cramponner. « Mais j’étais là », a-t-il dit, alors avec résignation, d’une voix curieusement sèche et lasse. Il lui fallut près d’une demi-heure pour émettre ces quelques dernières phrases. Et, finalement, très bas : « Donc, en réalité, j’ai ma part de culpabilité, oui… parce que ma faute… ma faute… ce n’est que dans ces conversations… À présent que j’ai tout dit pour la première fois… » et il s’est tu.
    Il avait prononcé « ma faute » mais plus encore que ces mots, c’est le fléchissement de son corps et de son visage qui traduisait l’irrévocabilité.
    Au bout d’une longue minute, il a repris d’une voix sourde et comme à contrecœur : « Ma faute est d’être encore là. Voilà ma faute. »
    Encore là ?
    « Je devrais être mort. Ma faute est là. »
    Voulez-vous dire que vous auriez dû mourir ou que vous auriez dû avoir le courage de mourir ?
    « Prenez-le comme vous voulez », a-t-il dit d’un ton vague et l’air soudain très fatigué.
    Bon, vous dites cela maintenant. Mais à l’époque ?
    « C’est vrai  », a-t-il dit avec lenteur, se méprenant peut-être délibérément sur ma question. « J’ai eu un sursis de vingt ans – vingt années qui ont été bonnes. Mais croyez-moi aujourd’hui, je préférerais être mort… » Il a parcouru du regard le petit parloir de la prison. « Je n’ai plus d’espoir », a-t-il dit sur le ton de la constatation ; et
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