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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne
Autoren: Albert Londres
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et, dans le silence de cette
réponse, il y avait le prolongement sonore d’une inoubliable
misère.
    – Il ne vous restait que deux ans et neuf
mois…
    Il me coupa la parole :
    – … Et vingt-trois jours !
    – … De bagne à faire. C’était moins que la
mort que vous alliez chercher à cinquante pour cent de chances dans
l’évasion.
    – Je n’en pouvais plus.
    Il prit son masque amer, il réfléchit
et :
    – Ma foi ! non, ce n’était plus possible.
Voyez-vous, j’aurais pu vous en dire des choses, voilà quatre ans,
quand je vous ai vu là-bas ! Ah ! là ! là !
là !
    – Dites donc, avant de raconter
l’histoire.
    – L’histoire de mon évasion ? Personne ne
la croira.
    – Avant ça, je voudrais vous demander quelque
chose. Que faisiez-vous, enfin, dans la bande à Bonnot ?
    * * *
    Là, je dois vous présenter Dieudonné. Il n’est
pas très grand. Comme il a été engraissé au bagne, il est un peu
maigre. Brun. Sa tête est carrée et ses yeux, qui sont noirs,
prennent par moments une fixité inébranlable.
    Ce sont ces yeux-là que, sous le coup de ma
question, il tourna brusquement vers moi, mais, de même que pendant
la guerre on sucrait son café avec de la saccharine, il adoucit son
regard d’une profonde amertume.
    – Vous aussi ? Vous qui connaissez mon
affaire, vous me posez cette question ?
    Il balançait la tête à coups francs, comme
pour dire : « Je ne l’aurais pas cru, je ne l’aurais pas
cru… »
    – Vous me posez cette question, vieille de
quinze ans ? L’éternelle demande qui me fait bondir ?
    « Imaginez-vous un Caïn qui n’aurait pas
tué Abel et qui, toute sa vie, entendrait derrière lui :
« Qu’as-tu fait de ton frère ? »
    « Il se défendra, il se démènera, il
s’expliquera. On l’écoutera un moment d’une oreille sceptique, puis
l’on s’en ira, alors qu’il continuera de se défendre dans le vide,
tout seul.
    « Et l’homme qui lui jette un regard de
mépris ? Et les timides qui détournent la tête ? Et ceux
qui, dès qu’ils vous aperçoivent, passent sur le trottoir
opposé ? Et tous les autres qui vous croisent sans vous
voir ?
    « Et les meilleurs ? Les meilleurs
qui restent indécis. Oh ! cette prudence des meilleurs !
Cette hésitation ! Cette main qui se tend mollement et comme
dans l’ombre ! Ce regard qu’ils promènent autour d’eux, comme
si ce regard avait la puissance de vous faire disparaître, cette
peur qu’on ne les voit avec le bagnard !
    « Quinze ans que cela dure,
monsieur !
    « Ce que je faisais dans la bande à
Bonnot ? Laissez-moi me rappeler…
    Il passa sa main, lentement, sur son
front.
    – Je n’ai connu la « bande à
Bonnot » que par les rumeurs, alors que j’étais déjà incarcéré
à la Santé. Ceux que j’ai connus, moi, s’appelaient Callemin,
Garnier, Bonnot, mais ils n’étaient pas en bande quand je les
voyais. Des centaines les connaissaient comme moi ; c’étaient,
à cette époque, de simples mortels qui fréquentaient les milieux
anarchistes où l’on me trouvait parfois. Ils étaient comme tous les
autres. On ne pouvait rien lire sur leur front…
    – Et que faisiez-vous dans les milieux
anarchistes ?
    – Nous reconstruisions la société,
pardi !
    « Je l’ai dit et écrit : il y a
quinze ans, je croyais à l’anarchie, c’était ma religion. Entre
anarchistes, on s’entr’aidait. L’un était-il traqué ? Il avait
droit à l’asile de notre maison, à l’argent de notre bourse.
    – Alors, vous avez caché Bonnot ?
    – Moi ? j’ai caché Bonnot ?
    – Je vous demande.
    – Mais non ! Je veux dire qu’en serrant
la main à Callemin, à Garnier ou à Bonnot, je ne savais pas plus
que vous ce qu’ils feraient ou ce qu’ils avaient fait déjà.
    « On n’exige ni papiers ni confidences de
quelqu’un à qui l’on tend une chaise ou un morceau de pain.
    « Voilà mon crime. Il m’a conduit devant
la guillotine.
    Dieudonné baissa la voix ; nous étions
sur une terrasse de l’hôtel, et des gens qui sortaient de table
passaient derrière nous.
    – Alors, vous vous rendez compte de ce que je
ressentis quand je fus accusé de l’assassinat de la rue Ordener. Je
me rappelle nettement cette seconde-là. Tout ce que j’avais en moi
s’effondra, tout ! Il me sembla que, seule, mon enveloppe de
peau restait debout.
    « Le premier choc passé, je nourris un
peu d’espoir. Je me disais : « Caby a reconnu
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