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Adieu Cayenne

Adieu Cayenne

Titel: Adieu Cayenne
Autoren: Albert Londres
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dénonçant le forçat au gardien, le gardien au forçat.
Mouchards patentés, reconnus, galonnés : les porte-clefs.
    Vous n’avez pas idée, vous, les hommes libres,
de ce qui se passe dans le trou du bagne. L’homme est lâche devant
la faim. Pour un supplément de pain, un fruit, une place de
blanchisseur, il vend son camarade. N’a-t-il rien à dire ? Il
invente. Comme il s’attaque de préférence aux hommes dont le procès
fut retentissant, l’administration le croit – par peur des blâmes
ministériels.
    Malgré tout, je ne cessais de penser à la
Belle.
    – Quelle Belle ?
    – La liberté, pardi ! C’est ainsi qu’on
la nomme là-bas. Vous supposiez autre chose ? Une femme ?
Mais non ! Il n’est qu’une Belle pour nous. À part les vieux
(et pas tous encore) et quelques centaines de dégoûtants qui
trouvent leur vie dans cette grande auge, tout le monde l’invoque.
Le cœur de sept mille hommes bat pour elle. On lui fait des
poésies :
    Tes amants t’appellent
    La Belle
    Tout net, tout court.
    Le boiteux, l’aveugle, le sourd
    En pensant à toi, mon amour,
    Ont des ailes !
    C’est même rigolo de voir ça ! Sept mille
hommes vivant ensemble et n’ayant qu’une idée fixe en tête, une
seule ! Ah ! vous ne saviez pas ce qu’était la
Belle ?
    – Tout avait changé de face, cependant, pour
vous, les derniers temps. Vous pouviez compter sur votre grâce.
    – Évidemment, « j’allais » mieux. Je
n’étais plus en cellule, à cause de la « Belle », comme
le jour où je fis votre connaissance. Le gouverneur Chanel m’avait
ramené sur la grande terre, à Cayenne.
    Si ce gouverneur était resté en Guyane je ne
me serais pas évadé, je lui avais donné ma parole. Il est parti…
« Courage, Dieudonné ! À bientôt, à Paris ! »
me cria-t-il du bateau qui l’emmenait.
    Il pensait obtenir ma grâce.
    Le temps passa. Le gouverneur ne revint pas…
Un jour, c’était en décembre, je travaillais à la maison Chiris,
sur le quai, vous savez, après les baraquements de la douane. Le
surveillant Bonami, un Corse, un assez bon garçon, vint me
chercher. « Faut que je vous conduise à la Délégation, on a
quelque chose à vous apprendre. C’est même bon, je
crois. »
    Je suivis le chef.
    Nous arrivâmes. « Vous avez cinq ans de
grâce, me dit le commandant Jean Romains, vous êtes libérable le 30
juillet 1929. Signez. »
    Mon cœur se refroidit. Je comptais sur la
grâce totale. Elle m’avait été promise. J’avais acheté des malles.
Elles étaient remplies de souvenirs : coffrets, tapis d’aloès,
cannes en bois d’amourette, écaille travaillée par Belon, de
Marseille. Encore un innocent !
    – Il vient d’être gracié.
    – Cela n’empêche qu’il était innocent et qu’il
fallut huit années de réflexion ! J’avais aussi, des statues
sculptées par Je-Sais-Tout, de Lyon ; des babouches en balata,
faites par Bibi la Grillade ; des fleurs en plumes d’oiseaux,
montées par les orphelines de Cayenne. Mes cadeaux, quoi !
pour mes bienfaiteurs. Rentré dans ma soupente et comme si ces
malles, subitement, me rappelaient tout, je m’effondrai.
    Je me souviens que je fis, sur le plancher, la
soustraction du temps que je devais encore rester au bagne. Elle
donna deux ans, neuf mois et vingt-deux jours. Mon calcul est
toujours sur les lattes sans doute !
    Quinze ans de bagne pour un crime que je
n’avais pas commis ! Après cela, encore deux ans, neuf mois et
vingt-deux jours ! C’était trop. Je me relevai et je
dis : Vive la Belle !
    Mon évasion était décidée.
    – L’évasion, c’est le risque. Là-bas, les
derniers temps, vous étiez privilégié.
    – Privilégié, parmi les forçats, beau
privilège !
    Évidemment, je n’étais pas mal depuis quinze
mois. J’avais un laissez-passer, je couchais en ville. La police,
me rencontrant après l’heure fixée, faisait semblant de ne pas me
voir. Je gagnais mon pain parce que j’étais de ces exceptions qui
peuvent travailler en Guyane : mécaniciens, ébénistes.
Seulement, vous le savez bien, ce n’est pas une vie de vivre à
Cayenne pour celui qui a porté le petit chapeau. On a toujours la
marque là, – et il frappa son front, –vous ne la voyez pas, vous,
mais, là-bas, les négriots eux-mêmes nous appellent
« popotes ». Il faut rester entre condamnés ou vivre
seul, tout seul en réprouvé, ainsi que fait Ullmo. Naturellement,
celui qui accepte sa peine, parce
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