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Abdallah le cruel

Abdallah le cruel

Titel: Abdallah le cruel
Autoren: Patrick Girard
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dans un corps. Cette apparence, c’est elle que tu tueras.
Quant à moi, je monterai immédiatement au ciel où je vivrai à tout jamais.
    En écoutant ces paroles décousues,
Aslam éclata de rire :
    — Mon pauvre ami, tu
déraisonnes totalement ainsi que me l’ont dit tes parents. Je pensais que
c’était une ruse de leur part afin de m’apitoyer. Je me rends compte que tu as
perdu le sens commun. S’il ne tenait qu’à moi, je ferais appel à l’un de vos
prêtres. J’en connais plusieurs qui sont de bon conseil et qui ont sévèrement
condamné les agissements de tes compagnons. Mais, pour l’édification des autres
Musulmans présents ici, je préfère t’administrer moi-même la preuve de la
fausseté de tes affirmations.
    — Par quel moyen ?
    — Le plus simplement du monde.
    Le cadi ordonna à l’un des gardes
d’apporter un fouet et d’en administrer plusieurs coups au jeune homme. De
nature frêle et chétive, le malheureux poussa des cris déchirants dès que la
lanière de cuir s’abattit sur son dos. D’une voix ironique, Aslam lui
demanda :
    — Sur quelle épaule frappe ce
fouet ?
    — Sur la mienne, pardi !
    — Alors, il en sera de même si
l’épée touche ton corps au cas où tu mettrais à exécution ton projet insensé.
Comment peux-tu croire qu’il en sera autrement ?
    Terrifié, le Chrétien fondit en
larmes et renonça à maudire le Prophète. Le cadi le remit à sa famille qui
l’expédia dans l’un de ses domaines où les habitants, informés de sa
mésaventure, l’accueillirent par des quolibets. Incapable de supporter ces
humiliations, il revint à Kurtuba et demanda à être admis dans l’Umma, la communauté des croyants, à la grande satisfaction du cadi qui l’instruisit
des préceptes du Coran et en fit l’un de ses secrétaires particuliers.
    Par les informations qu’il
recueillit auprès de son protégé, Aslam ne tarda pas à découvrir le rôle
central joué dans cette affaire par Paul Alvar et le dénonça à l’émir. Bien
décidé à l’empêcher de nuire, ce dernier fit amener devant lui le négociant et
eut avec celui qu’il tenait pour un illuminé un entretien d’une durée
inhabituelle.
    — Ne crois pas m’impressionner
avec tes belles paroles, dit l’émir. Ton oncle, le musicien Abou L-Fath
al-Nasr, a loyalement servi mon père et deux de tes frères, demeurés fidèles à
la religion de leurs ancêtres, travaillent ici au palais. Je n’ai pas besoin de
te raconter par le détail ce qu’ils pensent de toi et de ton attitude.
Jusque-là, parce qu’ils ont un reste de pitié pour toi, ils ont fait preuve
d’une grande discrétion en ne révélant pas ce que tu cherches à faire oublier
par tous les moyens : tes origines. Je me demande ce que penseront
certains de tes amis quand ils apprendront que le bon Chrétien que tu prétends
être est en fait l’un de ces Hébreux que vos anciens rois ont si cruellement
persécutés.
    — J’affronterai cette épreuve
avec sérénité. Dieu m’infligera la punition que je mérite pour être né au sein
d’un peuple qui a refusé d’entendre le message de son Fils Bien-Aimé.
    — La belle affaire ! Rien
qu’au regard apeuré que tu m’as jeté, j’ai bien compris que cette perspective
ne t’enchantait guère. Rassure-toi, je n’en ferai rien pour une seule
raison : tu n’aspires qu’à périr de la main du bourreau. C’est un plaisir
auquel tu ne dois pas songer. J’ai donné des ordres en ce sens aux foqahas et
aux cadis. Ils ont pour consigne de n’instruire aucune procédure contre toi que
j’ai déclaré être atteint de folie. Tu peux vitupérer tant que tu le voudras
contre le Prophète, sur Lui la bénédiction et la paix !, et maudire nos
principes, ce sera en vain. Si un autre de tes coreligionnaires fait de même,
qu’il sache qu’il n’a aucune pitié à attendre de moi !
    « Mais je doute fort qu’il y
ait beaucoup de candidats. Tu auras du mal à persuader tes amis de faire le
sacrifice de leur vie alors qu’ils te verront jouir de tous les plaisirs de
l’existence et de la fortune. Car j’ai décidé de t’enrichir en t’obligeant à
devenir mon fournisseur privilégié. Tu ne peux refuser car, dans ce cas, je
ferai mettre à mort toute ta parentèle. Je m’amuse déjà à imaginer les
commentaires que feront sur toi tes coreligionnaires. Ce ne seront pas les
flatteries auxquelles tu as été jusqu’ici habitué. Et ma joie est encore
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