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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine
Autoren: Maurice Denuzière
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1.
     
    La lagune exhale, en automne, une odeur composite. Eaux rances, bois pourrissants, relents marins, pierres immergées, mousses humides : c’est l’haleine de Venise. Tout Vénitien de retour au pays la perçoit au moment d’abandonner la terre ferme.
     
    Abaissant la vitre de la diligence, un voyageur, citoyen de la Sérénissime, silencieux depuis Vérone, invita Axel Métaz à humer l’air tiède.
     
    –  Odor di Venezia, odor di femina ! s’exclama-t-il. Ah ! l’odeur de la femelle… Un peu trivial, n’est-ce pas, notre dicton en vieux vénitien ! ajouta-t-il, dans un français chantant.
     
    Le jeune Vaudois sourit, mit le nez à la portière, aspira un grand coup et remercia son vis-à-vis pour cette initiation concluante. Il souhaita, sans le dire, que les Vénitiennes aient, en ce mois d’octobre 1819, appris à masquer par de plus suaves fragrances le fumet de leur cité !
     
    Le lac Léman, sur les rives duquel Axel Métaz avait grandi, ne répandait une vague odeur de poisson que la veille d’une ondée orageuse. Les Veveysans disaient alors : « Le lac sent, la pluie est pour demain. »
     
    Comme il ne souhaitait pas plus engager la conversation, à un quart d’heure de l’arrivée, qu’il ne l’avait fait depuis le départ de Milan, Axel se replongea dans la lecture de la traduction française de Childe Harold’s Pilgrimage , qui venait d’être publiée par le libraire parisien Pierre-François Ladvocat. Le livre, à reliure de maroquin rouge, lui venait de son ancien précepteur, Martin Chantenoz, l’homme par qui le scandale était arrivé, deux mois plus tôt, dans la famille Métaz 1 . Le mentor, maintenant déchu, tenait Byron pour le premier poète du siècle et le meilleur introducteur à la vie vénitienne.
     
    Alors qu’approchait la lagune, au milieu des buissons et des saules, Axel se répéta les premiers vers du Chant Quatrième , guettant l’instant où il pourrait, à son tour, voir « sortir la ville du milieu des vagues, comme si la baguette d’un enchanteur l’eût élevée tout à coup 2  ». Agacé par les bavardages de ses compagnons de voyage, que la perspective d’un repos mérité, après plus de soixante-douze heures passées dans une voiture lente et cahotante, rendait encore plus volubiles, Axel redoutait une déconvenue. Ses premiers regards sur la cité des Doges lui confirmeraient-ils la vision byronienne ?
     
    Il ne fut pas déçu. Avant même de fouler le terre-plein pavé du terminus des diligences, la lointaine perspective d’une cité plate, composé fluide de terre et d’eau, lui apparut. Des fantômes de cheminées en forme d’entonnoir, des clochers et des tours vibraient, mirage ocre, dans les vapeurs de l’après-midi ensoleillé. Il sut qu’il abordait un archipel hors du temps, où rêve et réalité pouvaient se confondre.
     
    Dès qu’ils eurent mis pied à terre, les voyageurs se trouvèrent livrés à ces scapins de la lagune, sans qui rien ne se fait à Venise : les gondoliers. Jaillissant de leurs esquifs de laque noire armés, à la proue, d’un fer dentu, ils imposaient plus qu’ils n’offraient leurs services. Axel constata que les rares voyageurs étrangers ne choisissaient pas leur batelier mais que ces derniers s’emparaient avec une autorité désarmante des arrivants, à leur convenance. Prompts à évaluer au premier coup d’œil la qualité d’un bagage, l’élégance d’une toilette, la coupe d’une redingote, le moelleux d’un plaid, la valeur d’un sautoir ou d’une canne à pommeau d’ivoire, les gondoliers étaient capables de désigner, d’instinct, l’habitué des voyages, qui met avec aisance la main au gousset, le bourgeois pingre, prévenu contre la roublardise du petit peuple et qu’accompagne une épouse résignée, les jeunes mariés en voyage de noces, fébriles et empruntés, le couple illégitime pressé de cacher sous le sombre dais du felze un bonheur coupable, le négociant enrichi et hâbleur qui, pour n’être jamais sorti de sa province, se prend pour le Grand Turc, se donne des manières de prince mais compte comme un boutiquier, le peintre venu respirer à Venise le génie de Titien ou de Tiepolo, l’aventurier cupide attiré par les ridotti 3 clandestins, l’exilé ou le fuyard qui se perdra dans le dédale des canaux et des calle 4 , le libertin jouisseur, pourvu d’adresses déjà connues de Casanova où l’on satisfait tous les caprices des
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