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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire
Autoren: André Maurois
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déposa dans cette main tendue une croix à ruban rouge. Napoléon la prit sans la regarder et s'approcha de Lazarew qui, les yeux écarquillés, continuait obstinément à regarder son empereur. Jetant un coup d'œil au tsar pour bien lui prouver que ce qu'il allait faire était une gracieuseté à son intention, Napoléon posa sa main, qui tenait la croix, sur la poitrine du soldat, comme si son attouchement seul devait suffire à rendre à tout jamais ce brave heureux d'avoir été décoré et distingué entre tous. »
    Un biographe n'aurait pu donner cette impression vivante de l'empereur; aucun document ne lui aurait permis de le montrer tendant sa petite main potelée oujetant un coup d'oeil au tsar, sauf dans les circonstances où un témoin aurait noté pour lui de telles attitudes et de tels gestes. Mais, dans presque tous les grands moments, de tels témoins, sachant voir, ont manqué.
    De même pour Koutouzow quand Dologhow, pendant une revue, dit au général : « Veuillez m'accorder l'occasion d'effacer ma faute et de faire preuve de mon dévouement à l'empereur et à la Russie. »
    « Koutouzow se détourna et se dirigea vers sa calèche d'un air maussade. Ces phrases banales, toujours les mêmes, l'ennuyaient et le fatiguaient.
    « A quoi bon, pensait-il, y répondre par un même refrain ? A quoi bon ces vieilles et éternelles redites ? »
    Deux phrases seulement, mais deux phrases qui nous font comprendre toute la sérénité désespérée du vieillard, sa fatigue devant la monotonie de la vie, deux phrases qui auraient été interdites à un historien parce qu'il n'aurait possédé aucun document qui lui permît de les justifier.
    ***
    Voilà des constatations bien peu encourageantes pour le biographe. Faut-il donc que celui-ci se reconnaisse vaincu par le romancier? Peut-il, sur certains points, profiter de l'expérience du romancier et essayer de se servir de la technique de celui-ci? N'a-t-il pas, de son côté, quelques avantages que le romancier ne possède pas? Voilà quelles sont les questions que je voudrais me poser avec vous aujourd'hui, en reprenant un par un, et en les examinant du point de vue du biographe, les différents sujets traités l'an dernier devant vous par Forster qui les voyait du point de vue du romancier.Forster vous a d'abord longuement entretenus de ce qu'il appelle dans un roman l'armature, ou si vous voulez, la forme type de la charpente qui, donnant au roman une forme simple, en fait une oeuvre d'art intelligible.
    Au premier abord, le biographe sur ce point semble être dans une situation beaucoup plus difficile que le romancier. Sauf dans les cas, très rares, où il écrit l'histoire d'un homme dont l'existence, par hasard, s'est trouvée construite, il est obligé d'accepter une masse informe, faite de morceaux disparates prolongés en tous sens par des presqu'îles d'événements qui ne mènent nulle part. Il y a dans toutes les vies des déserts. Or il faut peindre le désert pour donner du pays une idée juste et complète. Il est vrai que quelquefois ces longues périodes monotones et vides avivent par contraste la couleur des périodes plus animées. Balzac ne craignait pas les déserts dans ses romans. Mais jamais le biographe n'aura la chance de trouver une existence parfaitement groupée autour d'une passion unique, comme celle du père Grandet, celle du père Goriot, ou encore celle de M. de Charlus.
    Donc le biographe a beaucoup plus de mal que le romancier à composer.
    Mais il y a une compensation : être contraint à recevoir du réel les formes toutes préparées de l'œuvre, c'est presque toujours, pour un artiste, une force. C'est pénible, cela rend le travail plus difficile : c'est tout de même de cette lutte entre une matière résistante et un esprit que se forme le chef-d'œuvre. Michel-Ange et les autres grands sculpteurs de la Renaissance recevaient de leurs mécènes et tyrans, des blocs de marbre de forme souvent étrange et devaient en tirer parti, par ordre. Or ce fut souvent de ces formes étranges quesortirent les attitudes les plus belles ; la résistance de la pierre avait forcé l'artiste à l'invention. Quelques-unes des plus belles trouvailles d'images ont été dues à la contrainte des formes rigides du vers classique 4 . Le malheur de certains romans, c'est qu'ils ont été construits trop librement. Pouvant modeler ses personnages à son gré, le romancier en a fait des êtres abstraits, destinés à servir une thèse ou à
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