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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire
Autoren: André Maurois
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la vie réelle lui échappe. » D'une part, elle collectionne tous les morceaux de haches, même semblables; d'autre part, quand elle ne peut trouver de haches, elle dit qu'il n'y en a pas, ce qui n'est pas prouvé.
    Dans ses conférences de l'an dernier, E.-M. Forster vous a très bien montré la différence entre un personnage de roman et un personnage de biographie :
    « Si un caractère de roman est exactement la reine Victoria, - non pas à peu près, mais exactement, - alors c'est la reine Victoria, et le roman, ou tout au moins la partie du roman qui est composée de ce caractère, devient de l'histoire. L'histoire est basée sur les témoignages. Le roman est basé sur des témoignages plus ou moins x, la quantité inconnue étant le tempérament du romancier, et cette quantité inconnue modifie toujours l'effet du témoignage et quelquefois le transforme entièrement.
    « L'historien traite des actions et des caractères des hommes dans la mesure seulement où il peut les déduire de leurs actions. Il s'occupe autant des caractères que le romancier, mais il ne peut connaître l'existence du caractère que quand il se montre à la surface. Si la reine Victoria n'avait pas dit : "Nous ne sommes pas amusée", ses voisins de table n'auraient pas su qu'elle n'était pas amusée et son ennui n'aurait jamais été annoncé en public. Elle aurait pu froncer le sourcil, de sorte qu'on aurait pu déduire son état d'esprit de cela; des regards et des gestes sont aussi des témoignageshistoriques. Mais si elle était restée impassible, qui aurait pu le savoir. Une vie cachée est par définition cachée; une vie cachée qui reparaît dans les signes extérieurs n'est plus cachée. Elle entre dans le royaume de l'action. La fonction du romancier est de nous révéler la vie cachée à sa source, de nous dire sur la reine Victoria plus qu'on ne pouvait savoir et ainsi de produire un caractère qui n'est pas la reine Victoria de l'Histoire. »
    Puis-je ajouter : qui n'est pas la reine Victoria de l'Histoire, mais qui ressemble plus à la reine Victoria, que la reine Victoria de l'Histoire ?
    « Pour avoir une idée plus vraie de l'importance et du sens de l'ère révolutionnaire et napoléonienne, il faudrait abandonner les historiens pour les romanciers, lire Guerre et Paix de Tolstoï et les Dynastes de Hardy », écrit M. Rowse, et c'est presque vrai. Je dis « presque », parce que Tolstoï n'a pas compris la grandeur si réelle, si humaine de Napoléon, mais il a su faire de l'empereur Alexandre, de Napoléon lui-même, de Koutouzow, des êtres vivants. Par quel artifice? D'abord, parce qu'ils sont vus à travers des héros de roman (Boris, le prince André), avec lesquels nous nous identifions. Ensuite parce que Tolstoï, qui est un visionnaire, sait à chaque instant quels sont les gestes et l'expression du visage de ses héros historiques. Il est vrai que ces gestes et cette expression sont, eux aussi, des faits historiques. Oui, mais quand ils sont connus. Or, ils le sont très rarement. Quel est l'historien qui, par exemple, aurait le droit d'écrire, sous la même forme que Tolstoï, ce récit de la visite de Napoléon à l'armée russe ?
    « "Sire, je vous demande la permission de donner la Légion d'honneur au plus brave de vos soldats", dit une voix nette, en prononçant distinctement chaque syllabe.C'était le petit Bonaparte qui parlait ainsi, en regardant, de bas en haut, droit dans les yeux du tsar, qui, l'écoutant avec attention, lui sourit en lui faisant un signe affirmatif.
    « "A celui qui s'est le plus vaillamment conduit dans cette guerre !" ajouta Napoléon avec un calme irritant pour Rostow, et en regardant avec assurance les soldats russes alignés, qui présentaient les armes et fixaient, immobiles, les yeux sur la figure du tsar.
    « "Voire Majesté me permettra-t-elle de demander l'avis du colonel?" dit Alexandre, en faisant quelques pas vers le prince Kozlovsky, commandant du bataillon. Bonaparte ôta avec peine de sa petite main blanche son gant, qui se déchira, et le jeta. Un aide de camp s'élança pour le ramasser.
    « ... Napoléon tourna imperceptiblement la tête en arrière, et tendit sa petite main potelée comme pour saisir quelque chose. Les personnes de sa suite, devinant à l'instant son désir, s'agitèrent, chuchotèrent, se passèrent de l'une à l'autre un petit objet, et un page, le même que Nicolas avait vu chez Boris, s'élança en avant et, saluant avec respect,
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