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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire
Autoren: André Maurois
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se lasser des relations entre les hommes. » Homo Fictus ne pense qu'à l'amour. Homo Sapiens est occupé surtout par sa nourriture et par son travail, et n'est guère occupé par l'amour qu'une ou deux heures par jour (quand il l'est).
    Homo Biographicus est une troisième espèce. Ce qui le distingue des deux autres, c'est qu'il agit beaucoup plus. Homo Sapiens, l'homme réel, passe quelquefois des journées entières à flâner ou à se perdre dans unevague rêverie ; il joue au golf; il bavarde avec des amis. Homo Biographicus agit toujours : il écrit des lettres, ou il gouverne des empires, ou il essaie d'en gouverner, ou il poursuit des femmes, ou il les abandonne; c'est un être d'une activité incroyable.
    Son mode d'expression est très différent de celui d'Homo Fictus, auquel il ressemble par d'autres côtés. Homo Fictus parle beaucoup, ou médite sous forme d'un discours intérieur que (par un miracle spécial au roman) nous entendons quand nous occupons, avec le romancier, l'observatoire de Dieu. Homo Biographicus, lui, parle très peu avec ses semblables et ne pense jamais quand il est seul. Il écrit des lettres et, souvent, tient un journal. S'il n'écrit aucune lettre et ne tient pas de journal, il est blâmable, et d'ailleurs il est puni par le fait qu'il cesse à peu près d'exister. Il est vrai qu'Homo Sapiens, lui aussi, écrit des lettres, mais ses lettres n'ont pas grande importance. Très souvent il n'y croit pas; il tient compte de la sienne propre ; il serait très surpris si quelqu'un voulait croire ses lettres véridiques. Homo Biographicus écrit une lettre, il croit toujours ce qu'il écrit, du moins c'est ce que nous enseignent tous ceux qui s'occupent de lui.
    Homo Biographicus est traité avec beaucoup plus de sévérité qu'Homo Sapiens. Homo Sapiens se contredit sans cesse, aime successivement ou simultanément plusieurs femmes, commence la vie en anarchiste et la finit en conservateur ou suit une marche contraire. On le lui pardonne parce que l'on ne découvre pas sa carrière d'une seule vue; on le voit changer insensiblement, ce qui fait qu'on a le temps de s'habituer aux nuances successives. Homo Biographicus se trouve rassemblé, en deux ou trois cents pages, sous l'œil de juges sévères, et nous le tenons pour coupable aussitôtqu'il se contredit. Lorsque, comme Chateaubriand, il écrit le même jour trois lettres d'amour à trois femmes différentes, nous le jugeons perfide, changeant. Vous voyez que son existence est difficile.
    Ajoutez qu'il en est peut-être de lui comme des grands reptiles de l'époque secondaire; c'est une espèce en voie de disparition. Il était fait, nous l'avons vu, surtout de correspondances et de journaux; or la vie moderne tend, aussi bien par son agitation que par les moyens de communiquer plus rapides qu'elle offre, à supprimer tout ce papier écrit qui forme la chair et le sang d'Homo Biographicus. La vie la plus romantique se passe aujourd'hui par téléphone. Un Byron et une Caroline Lamb modernes ne laisseraient sans aucun doute aucune trace de leur conflit. Seul l'homme d'Etat écrit encore, pour « fixer les responsabilités », mais il écrit à la machine et nous voyons déjà (dans une biographie du président Wilson) l'auteur obligé, pour illustrer son livre, de publier des notes dactylographiées. En vérité, la vie d'Homo Biographicus semble précaire.
    Et pourtant, et pourtant... quand il est bien soigné, Homo Biographicus peut vivre. Il est comme ces plantes délicates et qui ont besoin de mille soins mais qui, si on leur donne ces soins, nous les paient par la grâce de leur feuillage et par la beauté de leurs fleurs. Quand Homo Biographicus tombe entre les mains d'un docteur habile, celui-ci peut, par des injections appropriées, lui communiquer cette vie intérieure si caractéristique d'Homo Fictus, et cela sans nuire à la vérité.
    ***
    Faut-il, pour terminer, essayer d'écrire Plutarque ou l'Avenir de la Biographie ? Vous avouerai-je qu'à mon avis l'avenir ne sera pas très différent du présent ? Il n'y a pas de progrès en littérature. Tennyson n'est pas plus grand qu'Homère, Proust n'est pas plus grand que Montaigne, Strachey n'est pas plus grand que Boswell. Ils sont différents. La littérature suit plutôt une marche rythmique qu'une ligne continue. Nous traverserons de nouveau des périodes de certitude religieuse et sociale où l'on écrira peu de biographies intimes, mais au contraire des éloges. Nous
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