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Voltaire

Voltaire

Titel: Voltaire
Autoren: André Maurois
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en faute est chez moi dominante, désagréablement dominante. D'où me vient cette habitude ? C'est de la même origine que celle que j'indiquais plus haut. Tandis que la moitié du temps d'un professeur se passe à exposer, l'autre moitié se passe à critiquer, à découvrir les erreurs faites par ceux qui récitent des leçons, à corriger des exercices ou des calculs; et la puissance d'esprit qu'il y faut est renforcée par une impression de devoir accompli. Laissez-moi ajouter que chez moi c'est aussi le sens du devoir qui me conduit à critiquer, car quand par hasard je réussis à m'empêcher de faire une remarque sur une erreur de parole ou d'action, j'éprouve un sentiment de gêne comme si j'avais laissé sans la faire une chose qui aurait dû être faite. Cette tendance héréditaire est en train de devenir chez moi un instinct agissant automatiquement. »
    Notez que Spencer, ici, essaie d'être sévère pour lui-même ; mais Proust a remarqué, et il a raison, que lorsque nous croyons être d'une extrême dureté envers nous-mêmes, nous le sommes encore beaucoup moins que les autres. Nous serions stupéfaits si nous pouvions apercevoir l'image de nous qu'ils forment. Certaines phrases que nous avons dites, et qui nous paraissent toutes naturelles, sont relevées et commentées comme preuves d'égoïsme ou de sottise. Nos actions sont interprétées de façon compliquée et souvent fausse. Heureusement, nous ne le savons pas, car nous n'oserions plus parler ni agir; mais quand nous essayons de dessiner pour autrui un portrait de nous, nous ne devons pas nous étonner si ce portrait n'est pas trouvé ressemblant.
    Spencer a voulu écrire une Histoire naturelle; d'autres autobiographes ont voulu faire œuvre littéraire. Quelquefois, chez Thomas De Quincey par exemple, ce souci d'écriture a nui à la simplicité de l'œuvre. Dans le cas de Gibbon nous acceptons volontiers le style noble et les phrases admirablement balancées, même dans les moments d'émotion, parce qu'il nous semble que ce balancement fait partie de la personnalité même de Gibbon. Dans les pires moments, la phrase, chez lui, faisait corps avec la vie; elle soulevait sentiments et passions, les berçait de la lente ondulation de ses vagues égales et majestueuses, et sans doute les apaisait. Le lecteur de Gibbon ne peut s'empêcher d'éprouver de la sympathie pour un écrivain qui avait trouvé dans son œuvre le souverain bien. L'autobiographie de Gibbon a une grandeur naïve qui en fait un des livres les plus charmants de la littérature anglaise. Mais ce n'est pas encore là ce que nous cherchons, c'est-à-dire une image parfaite de l'homme. C'est une image d'un être d'exception, d'un technicien seulement occupé de sa technique. Qui nous donnera donc l'homme tout entier? A la vérité personne parmi les autobiographes.
    Goethe a eu la sagesse, lui, de donner pour titre à son autobiographie : Poésie et Vérité. Et en effet, il est presque impossible qu'un récit de notre vie ne soit pas un mélange de poésie et de vérité. C'est tellement précieux pour nous, notre vie... Ces pauvres événements si simples, si ordinaires, comment ne nous paraîtraient-ils pas, à nous, importants, plus importants que tout au monde, puisqu'ils nous ont inspiré des émotions si vives? Nous savons que nous n'aurons rien d'autre au monde que ces quarante, ces soixante années; nous voudrions qu'elles fussent belles, ou au moins qu'elles eussent contenu quelques moments rares et parfaits.Quand la vie réelle ne nous a pas donné ces moments, nous les créons, nous les reconstruisons, c'est-à-dire qu'au sens fort du mot nous sommes poètes.
    Les portraitistes savent bien qu'un modèle n'est jamais content de son portrait, alors qu'il trouve excellents les portraits des autres qu'il voit dans le même atelier. Est-ce vanité blâmable? Non. C'est que ce visage (qui est le nôtre) nous l'avons rencontré mille fois dans des miroirs, dans les regards des autres, dans notre propre imagination. Nous le savons imparfait. Nous le savons laid. Mais toujours nous espérons que, par quelque temporaire miracle, il traduira fidèlement cette bonne volonté maladroite et vaine qui est en chacun de nous. Il en est de même des portraits moraux. L'autobiographie la plus sévère n'est encore qu'un plaidoyer. « Que moi ou n'importe quel autre homme puisse tout dire sur lui-même, je soutiens, dit Trollope, que c'est impossible. Qui pourrait supporter d'avouer
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