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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu
Autoren: Maurice Denuzière
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comme maître de la flotte Cornfield par un officier britannique, décoré de la Victoria Cross pour s'être illustré pendant la rébellion des Noirs à la Jamaïque, ce qui impressionnait fort lord Simon, rendait Colson mélancolique. Les travaux que Charles comptait lui confier constitueraient une salutaire diversion pour ce veuf sans enfants.
     
    Les deux hommes prirent rendez-vous pour le lendemain, à Valmy, et Charles regagna Cornfield Manor, où son couvert était toujours mis, près de celui d'Ottilia. Le lord n'imaginait pas laisser Charles Desteyrac dîner seul à Valmy, dans une maison déserte, où tant de souvenirs devaient, supposait-il, contrarier l'appétit de son gendre. Le vieil homme, de qui on célébrerait bientôt le soixante-douzième anniversaire, restait très attaché à l'étiquette anglaise, qui exigeait que l'on s'habillât pour dîner. Charles dut s'arrêter chez lui pour passer un costume et nouer, sous le col d'une chemise fraîche, une cravate de soie noire, cadeau d'Ottilia.
     
    Du fait de ce détour, il arriva trop tard au manoir pour participer au rite de la boisson apéritive d'avant dîner. Tandis qu'il posait le pied sur la dernière marche de l'escalier, il entendit tinter le bronze de la cloche, qui annonçait le service. Le majordome, qui venait de remplir cet office, comme chaque soir depuis un demi-siècle, vint au-devant de l'ingénieur.
     
    – Nous avons, ce soir, M. le Pasteur Russell et son épouse, le docteur Weston Clarke et madame… et aussi un cochon de lait farci, envoyé par Old Gentleman… mais cuit par nos soins, compléta Pibia, de qui Charles appréciait l'humour.
     
    Maoti-Mata, le cacique des Arawak – Old Gentleman pour les Bahamiens blancs –, était un ami qu'il avait toujours plaisir à voir. La conversation de ce vieux sage restait des plus enrichissante pour l'esprit, et ses échanges avec lord Simon, son complice de longue date, réjouissaient l'auditoire. L'Indien et l'Anglais pratiquaient la joute oratoire sur les sujets les plus variés, feignant de s'opposer sur les termes, pour mieux se retrouver sur les principes.
     
    La conversation porta, d'abord, sur l'installation du télégraphe et le naufrage du Missouri.
     
    – Grover Stephen Cleveland a écrit au consul des États-Unis à Nassau, pour connaître les raisons du naufrage au cours duquel ses deux frères ont perdu la vie, révéla lord Simon.
     
    – Pourquoi le gouvernement bahamien est-il allé chercher un Américain pour diriger le Royal Victoria Hotel ? s'insurgea le pasteur Russell.
     
    – Parce que la clientèle du Victoria est essentiellement américaine. On attend cette année plus de cinq cents touristes de New York, de Boston et même de Philadelphie, précisa Charles.
     
    – Ces gens feraient mieux de rester chez eux ! Ils viennent ici, avec leurs dollars et leurs mœurs dépravées, corrompre notre société, malmener nos nègres, détourner la jeunesse de ses devoirs, s'écria Margaret Russell avec une véhémence outrée.
     
    – Son mari n'a pu l'empêcher de boire un troisième verre de vermouth à l'apéritif, souffla Ottilia à Charles.
     
    Devant l'air confus du pasteur, lord Simon s'empressa de demander à Maoti-Mata des nouvelles de ses innombrables petits-enfants. Le cacique connaissait, comme tous les familiers du Cornfieldshire, le vice récemment déclaré de Margaret Russell. Il entra dans le jeu et, monopolisant l'attention, satisfit avec force détails la curiosité de son ami Cornfield.
     
    Tout le Cornfieldshire savait maintenant que l'épouse du pasteur s'adonnait à la boisson depuis que ses filles jumelles, Emphie et Madge, éduquées dans les meilleurs collèges américains et maintenant majeures, avaient ouvert à Nassau, sur Bay Street, à l'enseigne The Shop of Intimate Things, une boutique de lingerie féminine importée d'Europe.
     
    On trouvait, chez les sœurs Russell, des robes d'intérieur en drap fin, turquoise ou céladon, des petits pantalons de satin noir ou de taffetas rose, avec garniture de dentelle, des matinées – camisole et jupon – en percale crème, des écharpes de mousseline, des déshabillés vaporeux, en voile de soie, avec incrustations de guipure, des liseuses de linon blanc, des mantelets d'ottoman moiré, semés de petites roses en satin, des bas de soie, des chemises de jour en crêpe de Chine myosotis ou saumon, bordées de valenciennes, des chemises de nuit en voile aux transparences
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