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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu
Autoren: Maurice Denuzière
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1.
     
    – Combien sont-ils ? demanda le commandant du port au patron du caboteur.
     
    – Nous en avons douze ; mais il y avait, paraît-il, quatre-vingt-seize personnes à bord. Beaucoup ne sont pas là. Ces gens disent que le vapeur s'est écarté de sa route dans la tempête et qu'il a heurté un récif. Le feu a pris et le bateau s'est couché. La mer était grosse et le vent d'est fort. On a fait ce qu'on a pu, acheva le marin, d'un ton las.
     
    Les naufragés du Missouri , vêtus d'habits de fortune, furent hissés par des mains secourables sur le quai de Nassau, capitale de l'archipel des Bahamas. La veille, ils avaient été recueillis alors qu'ils dérivaient sur une chaloupe.
     
    Après leurs premiers pas hésitants sur la terre ferme, ces passagers, hébétés par la nuit qu'ils venaient de passer, entassés à bord d'un bateau de pêche, en pleine tempête, prirent enfin conscience d'avoir échappé aux flammes, puis à la noyade, et s'étonnèrent d'être encore en vie, ce jour d'octobre 1872.
     
    Des femmes qui, la veille, poudrées, parfumées, faisaient assaut d'élégance à l'heure du thé, dans le salon du vapeur postal de l'Atlantic Steamship Company, avançaient sous la pluie battante, soutenues par des débardeurs, des Noirs dont elles n'eussent pas, en d'autres circonstances, supporté le contact. Cheveux collés aux joues, visage décoloré, yeux baissés, comme honteuses de se montrer en aussi grotesque tenue, elles allaient docilement vers l'abri de la commanderie du port. Les hommes jeunes, plus gaillards, s'appliquaient, en titubant comme des ivrognes, à marcher seuls, alors que les plus âgés s'affalaient sur les rouleaux de cordages, incapables de tenir debout. Parmi ces gens, se trouvaient plus d'insulaires et d'hommes d'affaires américains que de vrais touristes, la pleine saison ne commençant, avec l'ouverture annuelle du Royal Victoria Hotel, que le 1 er novembre, pour s'achever en mai.
     
    Charles Desteyrac et le commandant Lewis Colson 1 , qu'un transport d'éponges avait conduits de Soledad à Nassau, se trouvaient dans la foule silencieuse, tandis que des employés de la douane arrivaient, pour assister ces voyageurs sans bagages. Conduits à l'abri des hangars, car la pluie cinglante et le vent d'est aggravaient encore leur mal-être, les rescapés, jusque-là silencieux, interrogeaient les douaniers. La gorge nouée, ils voulaient savoir si d'autres bateaux avaient sauvé ceux qu'ils espéraient encore revoir, mari, femme, enfants.
     
    Le commandant du port leur laissa un vague espoir.
     
    – Il faut attendre la fin du gros temps, que tous les pêcheurs des Berry Islands et d'Andros soient rentrés et qu'ils nous préviennent s'ils ont trouvé des gens en mer. Ça pourra prendre deux ou trois jours.
     
    Il disait cela bien que les marins du caboteur n'aient vu aucune autre embarcation sur les lieux du naufrage, alors que le vapeur sombrait.
     
    Colson connaissait un des mécaniciens du Missouri et s'en approcha. Le marin, bien que trempé et enveloppé d'une couverture, semblait moins affaibli que les passagers sauvés des eaux.
     
    – Nous avions à bord Lewis Cleveland, le directeur du Victoria, qui revenait de New York avec son frère. Ils manquent tous deux à l'appel. Sûr que ça va faire une histoire. Leur frère, Grover Cleveland, est un homme politique important de l'État de New York, shérif de Buffalo, à ce qu'on m'a dit 2 .
     
    On eut bientôt la triste certitude qu'on ne reverrait jamais les quatre-vingt-quatre passagers et membres d'équipage manquants du Missouri . Ce naufrage du mardi 1 er octobre 1872 fut mentionné, par les journaux de Nassau, comme le plus meurtrier depuis ceux provoqués par l'ouragan de 1866, qui, dans l'archipel, avait coûté la vie à Ounca Lou Cornfield-Desteyrac, à Eliza Colson, au major Edward Carver et à bien d'autres.
     
    Une semaine plus tard, naviguant vers Soledad, à bord de l' Apollo , sur l'Océan enfin calmé, Charles et Lewis tombèrent d'accord pour regretter que l'Imperial Lighthouse Service ne mît pas plus de célérité à construire, sur les côtes frangées de récifs coralliens, les phares promis.
     
    – Entre 1850 et 1860, on a recensé trois cent deux naufrages et, plus tard, quarante-huit pour la seule année 1864, soixante et un en 1865. Depuis l'ouragan de 1866, qui a détruit soixante-trois bateaux, l'Imperial Lighthouse Service et l'Amirauté ont obtenu, non sans mal, qu'on
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