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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles
Autoren: Sébastien Japrisot
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l'âge du mien aujourd'hui, m'a conduit chez
ses parents, des terreux comme moi, qui se doutaient bien que j'étais
en fuite, mais ils ne m'ont jamais posé une seule question qui
me fasse mentir. Je les ai aidés pendant une semaine,
peut-être plus, à réparer leur grange, à
redresser leurs clôtures. Ils m'ont donné un pantalon de
velours, une chemise et une veste qui n'étaient pas celles
d'un soldat, et aussi, parce qu'on m'avait rasé les cheveux
pour soigner ma blessure, à Combles, un canotier pareil à
celui que le Bleuet avait posé sur le crâne de son
bonhomme de neige.
    J'ai
marché encore. Je suis allé vers le couchant, pour
contourner Paris, où je me serais fait prendre, puis je suis
descendu, nuit après nuit, dormant le jour, mangeant au gré
de la chance et de la bonté des gens, vers le sud, vers ces
belles terres que vous voyez, où tout poussera toujours malgré
la bêtise des hommes.
    Pourquoi
la Brie ? Je vais vous le dire. Je suis venu ici quand j'avais
douze ans. L’Assistance m'a placé pendant six mois chez
un cultivateur de Bernay, qui est mort aujourd'hui, dont les fils ne
me reconnaissent pas. Quand je parlais à Mariette, je lui
disais toujours mon bonheur de Bernay, mon envie de retrouver ces
champs où les blés sont plus beaux que partout ailleurs
et les tournesols si grands que les enfants s'y perdent. Regardez mes
tournesols. Il y a bien une semaine déjà que j'aurais
dû les couper. Je comprends pourquoi j'ai négligé
de le faire. Je commencerai à les couper demain. Une fois,
bien après ces misères que je vous ai racontées,
j'ai rêvé de vous dans mon sommeil, sans vous connaître,
vous veniez vers moi à travers ce champ, je me suis réveillé
en sursaut, transpirant, j'ai regardé Mariette dormir près
de moi, je me suis levé pour écouter le souffle de mon
fils. J'avais fait un mauvais rêve et j'avais peur.
    Maintenant
je suis content que vous puissiez voir mes tournesols. En 17, comme
je lui avais dit dans ma lettre, Mariette a vendu notre ferme en
Dordogne, elle est venue à Bernay avec notre enfant. Je
l'attendais depuis plusieurs jours, assis sur un banc de pierre, face
à l'auberge où j'habitais, en haut de la place. Des
gendarmes, une fois, m'ont demandé qui j'étais. Je leur
ai montré ma tête et ma main. Ils m'ont
dit : «  E xcuse-nous mon gars. Il y a tant
de déserteurs. Mariette est arrivée un matin de mars,
par l'autocar de Tournan, Titou était niché dans de la
laine bleue.
    Quelques
mois auparavant, pendant le terrible automne 1916, j'avais écrit
à Mariette, dans notre langage, que je serais à la gare
de l'Est. Je me suis offert la permission sans papier. Elle avait
compris, elle était là. Il y avait trop de
vérifications aux barrières de la gare, je n'ai même
pas essayé de passer. On s'est embrassé à
travers des grilles. Je sentais sa chaleur, et tout d'un coup, moi
qui n'avais jamais pleuré de ma vie, même tout gosse,
même sous les coups quand j'étais dans les centres, je
n'ai pas été assez fort pour m'en empêcher. C'est
de ce jour-là que j'ai décidé de me sortir de la
guerre tout seul.
    Je
ne pleurerai jamais plus, mademoiselle. Mon nom, depuis que j'ai
porté votre fiancé sur mon dos, est Benjamin Gordes, le
régisseur de la veuve Notre-Dame, et tout le monde, ici, parce
que je préfère, me dit Benoît. Titou sait par
toutes les fibres de sa chair qu'il est mon fils. J'attendrai encore.
J'attendrai, tant qu'il le faudra, que cette guerre, dans toutes les
têtes, soit ce qu'elle a toujours été, la plus
immonde, la plus cruelle, la plus inutile de toutes les conneries,
que les drapeaux ne se dressent plus, en novembre, devant les
monuments aux morts, que les pauvres couillons du front cessent de se
rassembler, avec leurs putains de bérets sur la tête, un
bras en moins ou une jambe, pour fêter quoi ? Dans la
musette du caporal, avec son livret militaire, des papiers
d'identité, un peu d'argent, j'ai trouvé des
photographies. Elles ne m'ont servi à rien, sauf à le
plaindre encore plus. Une surtout, où j'ai vu les cinq
enfants, garçons et filles, qui étaient les siens. Et
puis, je me suis dit que le temps va, que la vie était assez
forte pour les porter sur son dos.
    J'entends
votre auto qui revient. Je vais vous quitter, rentrer tranquillement
chez moi. Je sais que je n'ai rien à craindre de vous, que
vous ne me dénoncerez pas. Si vous devez revoir le Bleuet
vivant, qu'il ait perdu le souvenir des
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