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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles
Autoren: Sébastien Japrisot
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soulever. ” je vous jure, je
n'en pouvais plus.
    Il
s'est accroché à moi, un bras autour de mon cou. Nous
avons avancé pas à pas jusqu'au lit de cette rivière
morte. Bleuet ne se plaignait pas. Il jetait une jambe en avant et
puis l'autre. Nous sommes tombés. Il était chaud, à
travers ses habits, comme jamais je n'ai senti personne. Il
tremblait. Son souffle était court, sifflant, ses yeux étaient
grands ouverts, mais sur rien. Je lui ai dit : “Courage, Bleuet. Essaie de t'accrocher encore. Je vais te
porter sur mon dos. ”
    Voilà,
je l'ai pris sur mon dos, le tenant par les jambes, et la neige
tombait sur nous et j'ai marché, j'ai marché.
    Plus
loin, au travers de ce rideau de flocons blancs, j'ai aperçu
des brancardiers qui remontaient vers les premières lignes.
J'ai crié. Je leur ai dit, s'ils
trouvaient les compagnies du capitaine Favourier, de prévenir
que le caporal Gordes allait au poste de secours. Et l'un des
brancardiers m'a crié en retour :
    “T'en
fais pas, caporal, on va leur dire. Et ton bonhomme, qui c'est ?”
j'ai dit : “Le soldat jean
Desrochelles. ”j'ai entendu : “
Vive l' anarchie ! Mais on leur dira,
mon gars, tâche de te faire évacuer  ! ”
    Ensuite,
je traînais Bleuet dans des boyaux, je le tirais par les bras
pour lui faire remonter les pentes, la neige a cessé de tomber
sur nous. Je me suis reposé un peu. Des Anglais sont passés.
L'un d'eux m'a donné quelque chose à boire à sa
gourde, quelque chose de fort. Il m'a dit dans son français à
lui : “Laisse pas, caporal, laisse pas. Là-bas,
c'est Combles. Après, tu meurs pas, et non plus ton soldat."
    J'ai
marché encore, le Bleuet sur le dos, qui avait mal, qui ne se
plaignait pas, dont je sentais le souffle fiévreux dans mon
cou. Et puis, enfin, il y avait une route, beaucoup d'Australiens
blessés, on nous a pris tous les deux dans un camion.
    À
Combles, ce n'était que ruines depuis longtemps. Les bâtiments
de l'ambulance, mi-anglaise, mi-française, étaient dans
la confusion de la guerre, tout le monde criait, des infirmières
et des sœurs à cornettes couraient dans les couloirs, on
entendait une locomotive qui chauffait pour emporter les évacués.
    J'ai
perdu le Bleuet là. Plus tard, j'étais au premier
étage, avec un bol de soupe, et ce lieutenant, Jean-Baptiste
Santini, est venu me trouver. Il m'a dit : “J ' ai
évacué ton compagnon. Sa blessure au côté
n'est rien et j'ai fait ce qu'il fallait à son poignet, on n'y
verra que du feu. Ce qui est grave, c'est qu'il a chopé une
fameuse pneumonie. Combien de temps est-il resté dans la neige ? » J'ai dit :
« Toute une nuit, et tout un jour, et encore toute une
nuit. » Il m'a dit ; «  Tu
es un brave homme de l'avoir ramené. Je ne veux pas
savoir que je t'ai déjà vu ni ton nom véritable,
je vais t'évacuer aussi. Et dès que tu pourras, sauve-toi , va loin de tout, cette guerre
finira quand même. Je te souhaite de vivre. »
    Lui,
Jean-Baptiste Santini, lieutenant-médecin écœuré
par la guerre, mais tous les médecins l'étaient
sûrement plus que personne, j'ai vu son corps une heure plus
tard, sous un lit de camp renversé, la tête arrachée.
    Vous
l'avez compris, mademoiselle, je suis las de raconter ces choses.
Quand le bombardement a commencé, le Bleuet était dans
un train, en route pour l'arrière depuis longtemps. Je ne l'ai
jamais revu. Si à Paris ou ailleurs, on l'a guéri du
plus grave, d'être resté tant d'heures et tant d'heures
dans la neige, par la volonté d'horribles gens, mais que vous
ne l'avez pas revu non plus, cela signifie qu'il a eu au moins la
chance de tout oublier.
    Moi,
quand l'étage s'est écroulé, à Combles,
je suis parvenu à descendre, j'ai traversé une cour où
des soldats gisaient, criant à l'aide, et d'autres couraient
dans tous les sens sous les explosions. J'ai marché droit
devant moi, mon carton d'évacuation accroché à
un bouton de la capote de Gordes, je ne me suis plus retourné
avant de retrouver la campagne.
    Après,
j'ai marché la nuit, j'ai dormi le jour, caché dans un
fossé, un bosquet, une ruine. Les camions, les canons et les
soldats qui montaient en ligne étaient tous anglais. Ensuite,
il y avait moins de dévastations dans les champs, les oiseaux
voletaient dans les arbres. J ' ai vu un petit garçon sur
une route, un matin. Il chantait cette chanson : Auprès
de ma blonde. J'ai compris que j'étais sorti de la guerre. Cet
enfant, qui avait
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