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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles
Autoren: Sébastien Japrisot
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1916.
    Bref,
c'est une peinture jaune et rouge et noire, faite probablement par un
soldat canadien puisque la légende est en français,
qui mesure presque cinquante centimètres en largeur, qui
n'entre dans le coffret en acajou qu'en forçant un peu.
    Ce
septembre-là, 1948, Mathilde consulte l'encyclopédie
Larousse à la bibliothèque publique d'Hossegor.
    Julian
Hedworth Georges Byng est celui qui a conduit, avec les divisions
canadiennes, en 1917, l'offensive victorieuse de Vimy. C'est lui
aussi qui, à la tête de ses chars, en 1918, a remporté
la bataille décisive de Cambrai. C'est lui encore qui, après
la guerre, a été gouverneur général du
Canada. C'est lui enfin qui a dirigé Scotland Yard avant
d'être promu maréchal et de prendre une retraite bien
méritée.
    Sacré
général Byng, se dit Mathilde en plaçant le
récit de ses exploits dans le coffret, te voilà mêlé
malgré toi à une autre étrange affaire. Elle
collectionne alors, comme quelqu'un qui parlait mal, des
timbres-poste qu'elle aligne soigneusement dans des classeurs, elle a
deux vignettes émises en 1936 pour l'inauguration du monument
de Vimy, à la mémoire des Canadiens tombés
pendant la guerre. L'une est rouge-brun, l'autre bleue. En les
regardant, elle souhaite que celui qui a fait le tableau n'ait pas
été parmi ceux que deux tours dressées vers le
ciel commémorent. Malheureusement, ils étaient
nombreux.
    Encore
quelques années, puis un autre général, français
celui-là, promu aussi maréchal, vient apporter son
témoignage, à sa manière, dans le coffret en
acajou. Au début de janvier 1965, Mathilde reçoit un
mot d'Hélène, la fille d’Élodie Cordes,
qui est devenue son amie, comme ses frères et ses sœurs,
comme Baptistin Notre-Dame et les deux filles de Six-Sous. Hélène,
qui est professeur de lycée, lui adresse la photocopie de la
page 79 d'un livre paru chez Plon à l'automne précédent : Cahiers secrets de la Grande Guerre du maréchal Fayolle. Le
dernier paragraphe, à la date du 25 janvier 1915, est celui-ci :

    Réunion
à Aubigny. Des 40 soldats d'une unité voisine qui se
sont mutilés à une main avec un coup de fusil Pétain
voulait en faire fusiller 25. Aujourd'hui, il recule. Il donne
l'ordre de les lier et de les jeter de l'autre côté du
parapet aux tranchées les plus rapprochées de l ' ennemi
Ils y passeront la nuit. Il n'a pas dit si on les laisserait mourir
de faim. Caractère, énergie ! Où finit le
caractère et où commence la férocité, la
sauvagerie  ! ...

    De ce jour, Mathilde partage la prédilection de trois
blagasseurs qui l'avaient beaucoup ennuyée, au Cabaret
Rouge . Tant pis, si en honorant à son tour Marie-Emile
Fayolle, elle se contredit dans le peu de goût qu'elle affiche
pour l'uniforme. Il faut toujours une exception qui confirme la
règle.

    Germain
Pire
    (Le
reste de l'en-tête est rayé.)

    Mardi
2 septembre 1924, dans la nuit,

    Ma
Chère Matti,
    Je
vous ferai porter cette lettre tout à l'heure, dès que
le soleil sera levé. Ce que j'ai à vous dire, je ne
pourrais l'exprimer au téléphone, et puis je veux que
vous ayez le temps de réfléchir. C'est une pauvre
histoire, sans doute la plus insensée que mon métier
m'a donné d'entendre, mais j'ai bientôt soixante ans,
j'ai connu un deuil qui m'a fait beaucoup de mal, qui m'en fait
encore, j'ai perdu, quand vous m'avez vu si abattu en 1922, l'être
que j'aimais le plus au monde, mon frère cadet, Charles, je
n'ai plus honte de pleurer, je ne m'étonne plus des déraisons
aux-quelles peut nous pousser la misère d'un amour.
    Je
reviens de Milly-la-Forêt. J'ai vu votre fiancé, Manech,
qui est maintenant Jean Desrochelles, et cette femme anéantie
par la peur qu'elle a de vous et qui se dit sa mère, Juliette.
L'amnésie de Jean Desrochelles, jusqu'à ce matin de
neige où un camarade, qui me réconcilie avec mes
semblables, l'a porté sur son dos, est totale, absolue. On a
dû même lui réapprendre à parler. Les
psychiatres qui l'ont suivi, depuis 1917, laissent peu d'espoir, mais
ils sont bien placés pour savoir qu'il y a autant d'amnésies
qu'il y a d'amnésiques, aussi qui oserait se prononcer ?
Juliette Desrochelles, qui avait une petite librairie à
Saintes, qui a dû s'éloigner de cette ville où
l'on aurait vite mis au jour son effroyable mensonge, s'est installée
avec lui à Noisy-sur-Ecole, aux portes de Milly-la-Forêt,
en 1918. Il est, autant qu'on peut le dire en pareil cas,
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