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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles
Autoren: Sébastien Japrisot
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future belle-mère, de la
pousser jusqu'au jardin de derrière, où Manech est en
train de peindre, et de la laisser seule avec lui un moment. Il est
prévenu de sa visite. On lui a dit qu'une jeune fille qu'il a
beaucoup aimée vient le voir. Il a demandé son nom,
qu'il a trouvé beau.
    Quand
Juliette Desrochelles et Sylvain se retirent, Mathilde est à
vingt pas de lui. Il a les cheveux noirs, tout bouclés. Il lui
paraît plus grand qu'elle ne s'en souvenait. Il est devant une
toile, sous un appentis. Elle a bien fait de ne pas se mettre du noir
sur les cils.
    Elle
essaie de s'approcher de lui, mais le chemin est de gravier, c'est
difficile. Alors, il tourne la tête vers elle et la voit. Il
pose son pinceau et s'approche, et plus il s'approche, plus il
s'approche, plus elle se félicite de n'avoir pas mis de noir à
ses yeux, elle ne veut pas pleurer mais c'est plus fort qu'elle, un
moment elle ne le voit plus venir qu'à travers des larmes.
Elle s'essuie vite. Elle le regarde. Il est arrêté à
deux pas. Elle pourrait tendre la main, il s'approcherait encore,
elle le toucherait. Il est le même, amaigri, plus beau que
personne, avec des yeux comme Germain Pire l'a écrit, d'un
bleu très pâle, presque gris, tranquilles et doux, avec
quelque chose au fond qui se débat, un enfant, une âme
massacrée.
    Il
a la même voix qu'avant. La première phrase qu'elle
entend de lui, c'est terrible, il lui demande :
    “
Tu peux pas marcher ? ”
    Elle
bouge la tête pour dire non.
    Il
soupire, il s'en retourne à sa peinture. Elle pousse sur ses
roues, elle se rapproche de l'appentis.
    Il
tourne à nouveau les yeux vers elle, il sourit. Il dit :
    “Tu
veux voir ce que je fais ? ”
    Elle
bouge la tête pour dire oui.
    Il
dit : “Je te montrerai tout à l'heure. Mais pas
tout de suite, c'est pas fini. »
    Alors
en attendant, elle s'adosse bien droite dans sa trottinette, elle
croise les mains sur ses genoux, elle le regarde.
    Oui
elle le regarde, elle le regarde, la vie est longue et peut porter
encore beaucoup plus sur son dos.
    Elle
le regarde.

Lundi matin

Des
soldats de Terre-Neuve arrivèrent à dix heures sur la
terre de personne, devant la tranchée de l'Homme de Byng,
alors qu'un pâle soleil perçait enfin le ciel blanc et
que partout, pour un moment, les canons s'étaient tus. Il
avait neige pendant leur cheminement dans les boyaux.Leurs manteaux
étaient trempés, ils avaient froid. Chacun, en peinant
dans la neige, traînait avec lui son nuage d'haleine et ses
soucis, et sa peur, et le souvenirs des siens que peut-être il
ne reverrait pas.
    Ils
étaient dix en tout, commandés par un sergent bon
garçon, coureur des bois dans des étendues glacées
plus silencieuses encore et plus vastes, où il ne se battait
qu'avec les ours et les loups.
    Pendant
que trois d'entre eux descendaient dans la tranchée française,
saccagée par les bombes, trois autres partirent en
reconnaissance dans celle des Allemands. Ceux qui restaient, en
explorant les terrain, trouvèrent cinq corps dispersés
de soldats français.
    Le
premier qu'ils virent était à genoux dans un trou les
yeux ouverts, et sous la neige qui s'était accrochée à
lui, semblait une statue de prière. Un autre très
jeune, le seul qui ne fût pas blessé à la main , le seul qui portait encore son numéro de régiment au
col et ses insignes, était tombé à la renverse,
une expression de délivrance sur le visage, la poitrine
déchiquetée par un éclat d'obus.
    Le
sergent était outré de voir la barbarie des ennemis,
qui dépouillaient de tous les pauvres tués, pour
ramener chez eux de quoi se vanter à leur fraulein. Il dit à
ceux qui étaient avec lui que tout homme mort dans ses
godasses a droit à une sépulture décente, qu'on
ne pouvait pas ensevelir tous les soldats tombés sur les
champs de bataille, mais ceux-là, oui, parce que l'homme à
genoux les en priait et que s'ils ne le faisaient pas, cela leur
porterait certainement malheur.
    Ainsi
ils se donnèrent cette peine, les gens de Terre-Neuve, un
matin froid parmi tant d'autres de la guerre, et Richard Bonnaventure
était leur chef de patrouille, qui avait connu le Grand Nord
et chassé avec les Eskimos, pareil en cela, sans le savoir, à
celui dont il avait pitié.
    Ils
rassemblèrent les cadavres dans un trou d'obus, ils lurent
leurs noms sur des plaques de poitrine et des bracelets, et le
sergent les écrivit un à un dans son carnet de route.
    Et
puis ils trouvèrent une
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