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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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don Francisco Gallego Dávila qui, après s’être
battu et avoir été fait prisonnier près de la place des Descalzas, a terminé
dans un cachot du palais Grimaldi. Là, le duc de Berg en personne est venu
jeter un coup d’œil, à son retour de la côte de San Vicente. Quand il s’est
trouvé face au prêtre, Murat était toujours décomposé, furieux des rapports
mentionnant les pertes, même s’il était encore impossible de calculer l’ampleur
de la tuerie.
    — C’est ça que Dieu commande,
curé ?… Répandre le sang ?
    — Oui, c’est ce qu’il commande,
a répondu le prêtre. Pour vous expédier tous en enfer.
    Le Français est resté un instant à
le regarder, plein de mépris et d’arrogance, ignorant le paradoxe de sa propre
destinée. Sept ans plus tard, ce sera Joachim Murat qui, oublieux de son passé
et plus encore de sa dignité, versera des larmes quand, au port du Pizzo de
Naples, il s’entendra condamner à être fusillé. Mais, ce soir, le représentant
de l’Empereur en Espagne n’a pas su voir devant lui autre chose qu’un misérable
prêtre à la soutane sale et déchirée, le visage marqué par les coups de crosses
et les yeux rougis par la souffrance et la fatigue, brillant, envers et contre
tout, d’un éclat fanatique. Du vulgaire gibier de poteau d’exécution.
    — C’est bien l’Évangile qui le
dit, non, curé ?… Qui a tué par l’épée périra par l’épée. Donc on va te
fusiller.
    — Alors, que Dieu te pardonne,
Français. Parce que, pour ça, ne compte pas sur moi.
    Maintenant, sous la pluie qui
redouble, don Francisco Gallego et les autres arrivent aux jardins de Leganitos
et à la caserne du Prado Nuevo. Là, ils stationnent un long moment à la porte,
trempés et grelottants de froid, pendant que les Français rassemblent à
l’intérieur une autre file de prisonniers. Parmi ceux-ci, les maçons Fernando
Madrid, Domingo Méndez, José Amador, Manuel Ribero, Antonio Zambrano et José
Reyes, pris ce matin dans l’église de Santiago. Arrivent aussi, mains liées et
à demi nus, le mercier José Lonet, l’employé d’ambassade retraité Miguel Gómez
Morales, le péon de corrida Gabriel López et le soldat des Volontaires de
l’État Manuel García, que les gardes, avant de le faire sortir, dépouillent de
ses bottes, de son ceinturon et de sa veste d’uniforme. Une fois hors de la
caserne, l’officier français qui commande l’escorte compte les prisonniers à la
lumière d’une lanterne. Le nombre ne le satisfaisant pas, il adresse quelques
mots aux soldats, qui entrent dans le bâtiment et reviennent peu après avec
quatre hommes de plus : l’orfèvre de la rue Atocha Julián Tejedor, le
bourrelier de la place Matute Lorenzo Domínguez, le journalier Manuel Antolín
Ferrer et Juan Suárez, l’habitant du Barquillo. Une fois ceux-ci ajoutés aux
autres, l’officier donne un ordre et le triste cortège poursuit sa marche vers
des murs proches, entre la côte de San Vicente et le fossé de Leganitos. Ce
sont les murs de la colline du Principe Pío.
    Cette même nuit, tandis que le
prêtre don Francisco Gallego marche dans la file de prisonniers, ses supérieurs
ecclésiastiques préparent des documents destinés à marquer leurs distances par
rapport aux événements de la journée. Plus tard, surtout après la défaite
française de Bailén, l’évolution de la situation et l’insurrection générale
conduiront l’épiscopat espagnol à s’adapter aux nouvelles circonstances ;
ce qui n’empêchera pas, à la fin de la guerre, que dix-neuf évêques soient
accusés d’avoir collaboré avec le gouvernement de l’envahisseur. Mais pour
l’heure, l’opinion officielle de l’Église sur la journée qui s’achève se
reflétera avec éloquence dans la pastorale rédigée par le Conseil de l’Inquisition :
     
    Les désordres scandaleux qui ont
agité le bas peuple contre les troupes de l’Empereur des Français rendent
nécessaire, de la part des autorités, la plus active et la plus zélée des
vigilances… De semblables mouvements séditieux, loin de produire les effets
propres à l’amour et à la loyauté envers ceux qui les méritent, ne servent qu’à
plonger la Patrie dans les convulsions, en brisant les liens de subordination
qui garantissent le bien-être des peuples.
     
    Mais, de tous les textes et lettres
rédigés par les autorités ecclésiastiques à propos des événements de Madrid, le
plus éloquent sera la
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