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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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son
imagination lui présentait ce matin comme une aventure patriotique s’est
terminé par une réprimande maternelle et une désillusion mélancolique. Ni les
classes supérieures – la sienne –, ni les militaires, ni les gens de bien ne se
sont mêlés au tumulte. À de rares exceptions près, seul le bas peuple a voulu
intervenir comme il le fait toujours, turbulent, irrationnel, sans avoir rien à
perdre, et à la manière d’un fleuve en crue. D’après ce que le jeune homme en
sait, tout a été étouffé par les Français, avec beaucoup de douleur et peu de
gloire pour les insurgés. Antonio Alcalá Galiano se félicite maintenant de ne
pas avoir obéi à sa première impulsion en se joignant aux révoltés : des
gens grossiers, mal habillés et ignorants, comme il a pu le constater quand il
a voulu accompagner ce matin une de leurs bandes. L’après-midi, rentré chez lui
après sa brève expérience de rébellion, le garçon a eu l’occasion d’assister à
une conversation révélatrice. Les habitants des quartiers où l’on ne tirait pas
étaient à leurs balcons en essayant de comprendre ce qui se passait : la
rue du Barco était de celles où tout était tranquille, car seuls y logent des
gens aisés et de la classe supérieure. La comtesse de Tilly, qui vit en face,
et la mère de celle-ci, locataire du quatrième étage de la maison dont les
Alcalá occupent le premier, bavardaient de balcon à balcon. À ce moment est
passé dans la rue, en uniforme, l’officier des Gardes espagnoles Nicolás Morfi,
une connaissance de la famille parce que originaire de Cadix.
    — Que devient l’émeute, don
Nicolás ? a demandé, d’en haut, la comtesse de Tilly.
    — Rien, madame. – Morfi s’est
arrêté, chapeau à la main. – Vous l’avez dit vous-même : une émeute
d’individus méprisables.
    — Mais un homme est passé tout
à l’heure en criant qu’un bataillon français « s’est rendu en
entier » ; et ici, en bons Espagnols que nous sommes, nous avons
applaudi à tout rompre.
    De la main, Morfi fait un geste de
dénégation et dit sur un ton dédaigneux :
    — Il n’y a rien à applaudir, je
vous assure. Ce ne sont que des boniments lancés par quelques insensés. Murat,
même si c’est déplaisant, a rétabli l’ordre… Le mieux est que tout le monde
reste tranquille et fasse confiance aux autorités, qui sont là pour ça. Quand
la populace se déchaîne, on ne sait jamais jusqu’où ça peut aller. Elle peut se
révéler pire que les Français.
    — Ah, tant mieux ! Me
voilà rassurée, don Nicolás.
    — Mes respects, madame la
comtesse.
    Peu après avoir assisté à ce
dialogue, Antonio Alcalá Galiano, coiffé de son chapeau à galon d’argent de l’école
de Cavalerie qui lui donne un sentiment de sécurité, est allé faire un tour
jusqu’à la rue du Pez sans que personne l’inquiète, dans le but de rendre
visite à une jeune personne à laquelle il est officiellement lié. Là, assis
avec elle au balcon d’un deuxième étage, il a passé l’après-midi à jouer à la
brisque et à regarder les patrouilles françaises fouiller les rares passants
obligés à porter leur cape pliée sur l’épaule pour montrer qu’ils ne
dissimulent pas d’armes. Au retour, sous un ciel chargé de nuages prêts à
crever, le jeune homme a croisé des piquets de soldats impériaux dont la
suspicion augmentait à mesure que tombait la nuit. Sa mère l’a vu arriver avec
soulagement, le dîner déjà sur la table.
    — Ta promenade m’a coûté cinq
rosaires, Antoñito. Et un vœu à Notre Seigneur.
    La servante enlève maintenant les
assiettes, tandis qu’Antonio Alcalá Galiano demeure sur le balcon, satisfait,
avec, entre ses doigts, le cigare sévillan qu’il a l’habitude de fumer chaque
soir et que, par respect pour sa mère, il n’allume jamais devant elle.
    — Quitte le balcon, mon enfant.
Ça me fait peur de te voir rester là.
    — J’arrive, maman.
    Une autre salve retentit au loin,
assourdie. Alcalá Galiano tend l’oreille, mais il n’entend rien d’autre. La
ville est toujours dans l’obscurité et silencieuse. Au coin de la place San
Ildefonso, on devine les formes des sentinelles françaises.
    Une journée agitée, conclut le jeune
homme. De toute manière, tout ça sera vite oublié. Et il a eu de la chance, en
ne se compliquant pas la vie.
    À la même heure, juste un pâté de
maisons plus loin, tandis qu’Antonio Alcalá Galiano
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