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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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    Sept heures du matin et huit degrés
sur l’échelle de Réaumur aux thermomètres de Madrid. Cela fait deux heures que
le soleil est monté de l’horizon et, de l’autre bout de la ville, découpant les
tours et les clochers, il éclaire la façade de pierre blanche du Palais royal.
Il a plu pendant la nuit et des flaques stagnent encore sur la place, sous les
roues et les sabots des chevaux de trois berlines vides qui viennent de
s’arrêter devant la porte du Prince. Le comte Selvático, gentilhomme florentin
de la suite de la reine d’Étrurie – veuve, fille de l’ancien roi
Charles IV et de la reine María Luisa –, sort un moment, grand-croix de
Charles III sur son habit de cour, observe les voitures et rentre.
Quelques Madrilènes oisifs, pour la plupart des femmes, regardent avec
curiosité. Ils ne sont pas plus d’une douzaine et tous restent silencieux. Une
des sentinelles qui gardent la porte s’appuie nonchalamment sur son fusil,
baïonnette au canon, à côté de sa guérite. En réalité, cette baïonnette est sa
seule arme : par ordre supérieur, sa cartouchière est vide. En entendant
les cloches de l’église voisine de Santa María, le soldat lance un coup d’œil à
son camarade et bâille : une heure encore, avant la relève.
    Dans presque toute la ville le calme
règne. Les commerces matinaux ouvrent, et les marchands installent leurs étals
sur les places. Mais cette apparence de vie normale diminue aux approches de la
Puerta del Sol : du côté de San Felipe et de la rue Postas, de la rue
Montera, de l’église du Buen Suceso et des éventaires des librairies de la rue
Carretas encore fermées, se forment des petits groupes de citadins qui
convergent vers la porte de l’hôtel des Postes. Et à mesure que la ville
s’éveille et s’anime, de plus en plus de personnes apparaissent aux fenêtres et
aux balcons. Le bruit court que Murat, grand-duc de Berg et représentant de
Napoléon en Espagne, veut conduire aujourd’hui la reine d’Étrurie et l’infant
don Francisco de Paula en France, pour les réunir aux anciens rois et à leur
fils Ferdinand II qui sont déjà à Bayonne. Ce qui inquiète le plus, c’est
l’absence de nouvelles du jeune roi. Deux courriers que l’on attendait de
là-bas ne sont toujours pas arrivés, et les gens murmurent. La rumeur dit
qu’ils ont été interceptés. On dit aussi que l’Empereur veut garder tout ce
monde ensemble pour le manœuvrer plus commodément et que le jeune
Ferdinand VII, qui s’y oppose, a envoyé des instructions secrètes à la
Junte de Gouvernement que préside son oncle, l’infant don Antonio. On rapporte
qu’il a déclaré : « Ils ne m’ôteront la couronne qu’avec la
vie. »
    Tandis que les trois berlines vides
stationnent devant le Palais, de l’autre côté de la Calle Mayor, à la Puerta
del Sol, l’enseigne de frégate Manuel María Esquivel, accoudé à la balustrade
de fer du balcon de l’hôtel des Postes, observe les attroupements qui se
forment. Ils sont pour la plupart composés d’habitants des maisons voisines,
domestiques envoyés aux nouvelles, vendeurs, artisans et employés, auxquels
viennent se joindre les petites gens du Barquillo, de Lavapiés et des quartiers
populaires du sud. L’œil exercé d’Esquivel a également repéré des groupes
isolés de trois ou quatre individus qui n’ont pas l’allure de Madrilènes et se
maintiennent silencieusement à distance. Ils affectent de ne pas se connaître entre
eux, mais tous ont en commun leur jeunesse et leur vigueur. Ils font sûrement
partie des hommes qui sont arrivés la veille, dimanche, d’Aranjuez et des
localités voisines, et qui, pour une raison ou une autre – mais dont aucune ne
peut être bonne, pense l’enseigne de frégate –, n’ont pas encore quitté la
ville. Il y a aussi des femmes, car elles ont l’habitude de se lever tôt :
beaucoup portent un panier, elles bavardent en répétant les rumeurs et les
plaisanteries qui circulent depuis quelques jours, amplifiées encore par les
incidents de la veille, quand Murat s’est fait conspuer en se rendant à une
revue militaire au Prado. Son escorte malmenait la foule pour s’ouvrir un
passage, et il lui a fallu au retour faire appel à la cavalerie et à quatre canons,
tandis que le peuple chantait :
     
    Par pragmatique sanction
    Ordre est donné de publier
    Que le pot de chambre désormais
    S’appellera Napoléon.
     
    Esquivel, qui commande le
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