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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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qui-vive, et Madrid bourdonnant comme un dangereux essaim.
On dit que des gens ont été appelés pour soutenir le roi Ferdinand et que,
hier, prenant le marché pour prétexte, beaucoup d’habitants des villages des
alentours et des domaines royaux sont entrés dans la ville. Des individus
jeunes et rudes qui ne venaient pas pour vendre. On sait aussi que certains
artilleurs conspirent : l’inévitable Velarde et quelques-uns de ses
intimes, dont Juan Cónsul, l’un des officiers de l’incident de la taverne de
Genieys. D’aucuns citent également Daoiz ; mais si Arango est capable de
comprendre que ce dernier puisse se quereller et vouloir se battre avec des
officiers français, il n’imagine pas pour autant que ce capitaine froid,
discipliné et sérieux jusqu’au bout des ongles, puisse aller plus loin en se
mêlant à une authentique conspiration. Dans tous les cas, avec ou sans Daoiz,
si Velarde et ses amis préparent quelque chose, il est évident qu’ils laissent
à l’écart les officiers qui n’ont pas leur confiance, et Arango en fait partie.
Quant à leur commandant à Madrid, le placide colonel Navarro Falcón, un honnête
homme, mais obligé de naviguer entre deux eaux, les Français au-dessus et ses
officiers au-dessous, il préfère ne rien savoir. Et chaque fois que, avec tact,
Arango en sa qualité d’aide de camp, essaye de le sonder à ce sujet, l’autre
détourne la conversation et se réfugie dans le règlement.
    — De la discipline, jeune
homme. Et ne vous laissez pas tourner la tête. Que ce soient les Français, les
Anglais, le roi ou le pape… De la discipline. Gardez bouche cousue et les
mouches n’y entreront pas.
    Tandis que le lieutenant Arango va
chercher l’ordre du jour pour son colonel, trois hommes en habits du dimanche
bien que l’on soit lundi, chapeaux à large bord, vestes brodées, capotes à
revers rouges et navajas passées dans leurs larges ceintures, le croisent à
proximité du Gouvernement militaire. Deux sont frères : l’aîné se nomme
Leandro Rejón et a trente-trois ans, et l’autre, Julián, vingt-quatre. Leandro
a une femme – elle s’appelle Victoria Madrid – et deux enfants ; quant à
Julián, il vient de se marier dans son village avec une jeune fille qui répond
au nom de Pascuala Macías. Les deux hommes sont natifs de Leganés, dans les
environs, et ils sont arrivés en ville hier, convoqués par un ami de confiance
qu’ils ont déjà accompagné un mois et demi plus tôt au moment des événements
qui, à Aranjuez, ont abouti à la destitution du ministre Godoy. Cet ami
appartient à la maison du comte de Montijo, dont on dit que, par fidélité
envers le jeune roi Ferdinand VII, il encourage un autre complot. Mais ce
n’est qu’une rumeur et rien de plus. En revanche, ce que les Rejón savent avec
certitude, c’est que, munis d’un viatique suffisant pour assurer leur séjour et
leurs frais de taverne, ils ont pour instructions d’être prêts au cas où des
désordres éclateraient. Ce qui n’est nullement pour déplaire aux deux frères,
garçons turbulents et dans toute la force de leur jeunesse, las comme ils le
sont de supporter les insolences des gabachos  : il est grand temps,
pour des hommes qui en ont dans le pantalon – selon la forte expression de Leandro,
l’aîné –, de montrer à ces gens-là qui est le vrai roi d’Espagne, n’en déplaise
à cet enfant de putain de Napoléon Bonaparte.
    Le troisième homme, qui marche au
côté des Rejón, s’appelle Mateo González Menéndez, et il est également arrivé
hier à Madrid de Colmenar de Oreja, son village, obéissant aux consignes que
des siens camarades ont fait circuler parmi les opposants à la présence
française et les partisans du roi Ferdinand. Il est chasseur, c’est un homme de
la campagne qui s’y connaît en armes, taciturne et solide, et, sous la capote
qui le couvre jusqu’aux jarrets, il cache un pistolet chargé. Bien qu’il marche
à côté des Rejón comme s’il ne les connaissait pas, tous trois ont fait partie
de la petite troupe qui, avec guitares et mandolines, ont donné cette nuit,
malgré la pluie, une bruyante sérénade avec force insultes et quolibets, à ce
fat de Murat sous les balcons du palais qu’il habite, place Doña María de
Aragón, disparaissant dès l’apparition d’une ronde et réapparaissant derechef
pour continuer leur tapage. Et cela après avoir copieusement conspué Murat le
matin précédent, à
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