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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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son
cheval se cabre au milieu des huées générales, ça, il ne nous le pardonnera
jamais… Et comme si ce n’était pas suffisant, la foule a acclamé ensuite l’infant
don Antonio qui passait en voiture au même endroit… Le bas peuple va finir par
tous nous passer la corde au cou.
    — Détestable métaphore, fait
remarquer Francisco Gil de Lemus, ministre de la Marine, entre deux
bâillements. Je veux dire : celle de la corde au cou.
    — Eh bien, appelez ça comme
vous voudrez.
    Outre Casa Valencia et Gil de Lemus,
qui représente le peu de Flotte espagnole qui reste après Trafalgar, se
trouvent entre autres dans la salle don Antonio Arias Mon, ancien gouverneur du
Conseil ; Miguel José de Azanza, ministre des Finances inexistantes de
l’Espagne ; Sébastian Piñuela, pour une Justice dont les Français se
moquent et en laquelle les Espagnols ne croient pas ; le général Gonzalo
O’Farril, falot représentant d’une armée en proie à la confusion, impuissante
et irritée par l’invasion étrangère. Durant la nuit entière, avec les
dignitaires des Conseils et des tribunaux suprêmes, tous ont discuté jusqu’à
s’abîmer la voix, car ils ont sur la table l’ultimatum de Murat que l’incident
de la veille a mis hors de lui : s’il n’obtient pas la collaboration de la
Junte, dit-il, il en prendra lui-même le commandement, car il a les forces
suffisantes pour traiter l’Espagne en pays conquis.
    — Ce n’est pas toujours le
nombre qui l’emporte, suggérait, au petit matin, le procureur Manuel Torres
Cónsul. Souvenez-vous qu’Alexandre mit trois cent mille Perses en déroute avec
vingt mille Macédoniens. Vous connaissez l’adage : Audaces fortuna
juvat, et tout le reste.
    À ce sursaut patriotique de Torres
Cónsul, d’une énergie insolite à une telle heure, plusieurs conseillers qui
somnolaient sur leurs sièges ont relevé la tête. Surtout ceux qui comprennent
le latin.
    — Oui, bien entendu, a répondu
le gouverneur du Conseil, Arias Mon, résumant le sentiment général. Et lequel
d’entre nous est Alexandre ?
    Tous se sont tournés vers le
ministre de la Guerre, qui, indifférent à tout, comme s’il n’entendait pas la
conversation, allumait un cigare de Cuba.
    — Qu’en pensez-vous,
O’Farril ?
    — Je pense que ce cigare tire
affreusement mal.
    Voilà où ils en sont, maintenant que
le jour est levé. Apeurés, indécis – depuis longtemps, ils signent leurs
timides arrêtés et décrets « au nom du roi », sans spécifier s’il
s’agit de Charles IV ou de Ferdinand VII –, les membres de la Junte
sont paralysés par l’absence d’informations. Les courriers de Bayonne ne sont
pas arrivés, et les ministres et conseillers n’ont pas d’instructions du jeune
monarque, dont ils ignorent s’il reste là-bas de son plein gré ou retenu
prisonnier par l’Empereur. Mais un point est clair : l’ombre du changement
de dynastie plane sur l’Espagne. Le peuple offensé rugit, et les troupes de
l’Empire se renforcent et redoublent d’arrogance. Après s’être emparé de la
famille royale et de Godoy, Murat prétend agir de même – et, en cet instant
précis, la chose est en cours d’exécution – avec la reine veuve d’Étrurie et
l’infant don Francisco de Paula, âgé seulement de quatorze ans. La reine
d’Étrurie est une amie de la France, et elle part de bon cœur ; mais pour
le petit infant, c’est une autre affaire. Quoi qu’il en soit, après avoir
résisté avec une certaine décence à ce dernier diktat, la Junte a dû s’incliner
devant Murat en acceptant l’inévitable. Avec les troupes espagnoles éloignées
de la capitale, la maigre garnison enfermée dans ses casernes et sans moyens,
la seule force qui peut faire barrage à de tels desseins est un soulèvement
populaire. Mais, de l’avis de ceux qui sont réunis ici, cela justifierait la
brutalité française en donnant au lieutenant de Napoléon un prétexte pour
écraser Madrid par une facile victoire, en le mettant à sac et en le réduisant
en esclavage.
    — La seule solution est d’être
patients, déclare finalement, prudent comme toujours, le général O’Farril. Nous
ne pouvons rien faire d’autre que calmer les esprits, nous prémunir contre
l’impatience du peuple et la contenir, au besoin avec nos propres forces.
    En entendant cela, le ministre de la
Marine, Gil de Lemus, se redresse dans son fauteuil.
    — De quoi parlez-vous ?
    — De nos
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