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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’Empereur a qualifié les Espagnols qu’il
méprise – et non sans motif – pour la veulerie de leurs rois, l’incompétence de
leurs ministres et de leurs conseils, l’inculture du peuple et son absence
d’intérêt pour les affaires publiques. Pourtant le capitaine Marbot, lui, après
quatre mois passés en Espagne, est arrivé à la conclusion – c’est du moins ce
qu’il affirmera quarante ans plus tard dans ses Mémoires – que l’entreprise
n’est pas aussi facile que d’aucuns le croient. Les bruits qui circulent sur le
projet de l’Empereur de mettre fin à la dynastie corrompue des Bourbons, de
retenir toute la famille royale à Bayonne et de donner la couronne à l’un de ses
frères, Lucien ou Joseph, ou au grand-duc de Berg, contribuent à rendre
l’atmosphère irrespirable. D’après certains indices, Napoléon estime que le
moment est favorable à l’exécution de ses plans. Il est convaincu que les
Espagnols, las de l’Inquisition, des prêtres et de leur mauvais gouvernement,
poussés par des compatriotes éclairés dont le regard est tourné vers la France,
se jetteront dans ses bras ou dans ceux d’une nouvelle dynastie qui ouvrira les
portes à la raison et au progrès. Mais, à part les conversations qu’il a pu
avoir avec quelques officiers et notables favorables aux idées françaises –
ceux que l’on appelle ici les afrancesados , ce qui n’est pas précisément
un compliment –, à mesure que les troupes impériales descendent des Pyrénées et
s’enfoncent à l’intérieur du pays, prétendument pour aider l’Espagne contre
l’Angleterre au Portugal et en Andalousie, ce que Marcellin Marbot lit dans les
yeux des habitants, ce n’est pas une aspiration à un avenir meilleur, c’est du
ressentiment et de la méfiance. La sympathie avec laquelle les armées
impériales ont été accueillies au début s’est changée en suspicion, surtout
depuis l’occupation de la citadelle de Pampelune, des forts de Barcelone et du
château de Figueras, sous des prétextes que même les Français qui se disent
impartiaux, comme Marbot, estiment fallacieux. Des manœuvres que les Espagnols,
qu’ils soient militaires ou civils, y compris les partisans d’une alliance
étroite avec l’Empereur, ont ressenties comme un coup de pistolet.
    « Sa vengeance est terrible
quand on le trahit. »
    Ces mots résonnent dans la tête du
capitaine français, tandis qu’il se rase avec le soin qui doit être celui de
tout élégant officier d’état-major. Le mot « vengeance », conclut-il
sombrement, correspond bien à ces yeux noirs et hostiles qu’il sent rivés sur
lui chaque fois qu’il sort dans la rue ; à ces navajas de deux empans dont
le manche dépasse de chaque large ceinture, sous les capes qu’ils portent
tous ; à ces hommes au visage basané, encadré de longs favoris, qui
causent à voix basse et crachent par terre ; à ces femmes hargneuses qui
insultent ouvertement ceux qu’elles appellent, haut et fort, franchutes,
mosiús et gabachos, ou se promènent effrontément en s’éventant,
enveloppées dans leurs mantilles, devant les bouches des canons français postés
au Prado. Trahison et vengeance, se répète Marbot, mal à l’aise. Cette pensée
lui donne un instant de distraction, et il se fait une estafilade à la joue
droite, sous le savon qui la recouvre. Il lâche un juron, secoue la main, et
une goutte rouge tombe du fil de son rasoir à manche d’ivoire sur la serviette
blanche étalée sur la table, devant le miroir.
    C’est le premier sang qui coule en
ce 2 mai 1808.
    — Rappelle-toi toujours que
nous sommes nés espagnols.
    Le lieutenant d’artillerie Rafael de
Arango descend lentement les marches de sa maison, qui grincent sous ses bottes
bien cirées, et s’arrête, songeur, devant le porche, en boutonnant son uniforme
bleu turquoise à liserés rouge vif. Les mots que vient de lui adresser son
frère José, intendant honoraire de l’armée, l’ont singulièrement troublé. Ou
alors c’est la manière dont il lui a serré la main avec force et l’a embrassé
avant de lui dire adieu dans le couloir de la demeure familiale, en le voyant
partir prendre les ordres de la journée avant de gagner son poste dans le parc
de Monteleón.
    — Bonjour, mon lieutenant, le
salue le portier qui balaye l’entrée. Comment vont les choses ?
    — Je te le dirai quand je
reviendrai, Tomás.
    — Il y a des gabachos au
bas de la rue, près de la
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