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Un bateau pour l'enfer

Un bateau pour l'enfer

Titel: Un bateau pour l'enfer
Autoren: Gilbert Sinoué
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ANGLETERRE OU AU MOINS DÉBARQUEMENT À SOUTHAMPTON CAR RETOUR HAMBOURG IMPOSSIBLE ET ACTES DE DÉSESPOIR SERAIENT INÉVITABLES
    Or, un de ces actes était précisément en train de s’accomplir.
    Une douzaine de jeunes gens menés par Aaron Pozner marchaient en direction de la passerelle du poste de commandement. Leur intention était claire : ils avaient décidé de prendre le contrôle du navire. Tout valait mieux que la mort. Lorsqu’ils firent irruption dans la timonerie, à la seule expression de leurs visages, Heinz Kritsch, qui était à la barre, comprit en un éclair ce qui se passait. Il voulut actionner le signal d’alarme, mais fut repoussé sans ménagement dans un coin de la pièce. L’équipage de quart maîtrisé, Pozner ordonna à Ostermeyer, l’officier en second, d’aller quérir le capitaine.
    Schröder arriva dans les minutes qui suivirent.
    Quelles pensées traversèrent l’esprit des deux hommes lorsqu’ils se retrouvèrent face à face ? D’un côté, l’ancien combattant médaillé de la Première Guerre mondiale, officier de marine aguerri ; de l’autre, un jeune professeur, frêle, rescapé de Dachau, qui n’avait jamais commis le moindre acte de violence de toute sa vie.
    « Vous allez faire demi-tour, lança Pozner d’un ton aussi ferme que possible.
    — Vous savez bien que ce n’est pas possible.
    — Demi-tour !
    — Réfléchissez. Vous encourez les pires ennuis. On ne maîtrise pas un navire en occupant, sans armes, la timonerie. »
    Un ricanement fusa d’entre les lèvres de Pozner.
    « Les pires ennuis dites-vous ? Que voulez-vous qu’il m’arrive de pire que de mourir dans un camp, d’être rossé, de subir les crachats et les humiliations, d’être traité pire qu’une bête ? Je ne veux plus ! Vous m’entendez ? Plus jamais ça ! »
    Il ajouta d’une voix sourde :
    « Vous ne pouvez pas comprendre. Vous êtes allemand !
    — On ne répond pas à un crime par un autre crime. Or, ce que vous êtes en train de faire est considéré par la loi comme étant un acte criminel. Je vous en prie. Quittez la passerelle.
    — Non ! Faites demi-tour ! Nous ne bougerons pas d’ici. »
    Sans se départir de son calme, Schröder se tourna vers le timonier.
    « Kritsch ! Regagnez votre poste. »
    Le marin fit mine d’avancer, mais deux jeunes gens le maîtrisèrent aussitôt.
    « Obéissez ! cria Pozner.
    — Il n’en est pas question ! »
    Plongeant ses yeux dans ceux du jeune professeur, Schröder enchaîna :
    « Si étonnant que cela puisse vous paraître, non seulement je comprends votre désespoir, mais je compatis.
    — Vous ne pouvez pas comprendre ! répéta Pozner avec force.
    — Si c’était le cas, croyez-vous que j’aurais tout tenté au cours de ces derniers jours pour éviter le pire ? Je suis allemand, vous l’avez dit. Et insensible à vos souffrances, selon vos critères. Pourtant, Dieu m’est témoin que j’ai pris fait et cause pour vos coreligionnaires, prenant le risque de me voir déjugé une fois en Allemagne, mettant en péril ma famille. Car figurez-vous que moi aussi j’ai une famille, Herr Pozner. »
    Il n’y eut pas de réplique. Manifestement, Pozner perdait pied.
    Schröder en profita pour poursuivre.
    « Voici ce que je vous propose. Je vais oublier ce qui vient de se passer. Je n’en tiendrai pas compte dans mon rapport. En échange, vous quitterez la passerelle et regagnerez vos cabines sur-le-champ. »
    Un jeune homme hurla :
    « Mais nous ne pouvons pas rentrer en Allemagne ! C’est la mort qui nous attend.
    — Je peux vous faire cette promesse : je continuerai à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que jamais vous n’y retourniez. Dans peu, nous ne serons plus loin des côtes britanniques. Tout reste encore possible. Je n’ai pas dit mon dernier mot. D’ailleurs, vous n’êtes pas abandonnés ; des gens travaillent pour vous. Ils se battent. Et ils réussiront, je l’espère. Gardez confiance ! »
    Un flottement se produisit parmi les mutins. Ils échangèrent des regards éperdus.
    Finalement, Pozner murmura à l’intention de ses camarades.
    « Venez. Partons. »
    Et faisant volte-face vers le capitaine, il lança :
    « Nous verrons si vous êtes l’homme d’honneur que vous prétendez être. »
     
    L’incident eut sur Schröder un effet plus important que Pozner n’eût pu l’imaginer. Durant tout ce voyage, il s’était tenu à la décision
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