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Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Titel: Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
Autoren: Filip Muller
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au cœur du bois de bouleaux de Brezinka, appelée Bunker 2, puis plus tard Bunker V, transformée artisanalement en chambre à gaz. À l’époque, les nazis ne savaient pas à la lettre comment opérer : ils furent très largement des pionniers et des expérimentateurs, procédant par essais et erreurs, inventant à la fois la méthode et son objet, la perfectionnant, la raffinant au fil des mois et des années. Violence d’abord, puis ruses et mensonges, violence encore et enfin, car on la trouvait toujours au bout du chemin : le soi-disant « ordre allemand » était en même temps un désordre sans nom et les tueries de masse un bordel : elles ne pouvaient être que cela.
    Mais voici les membres du commando spécial, qui partagèrent le calvaire de Filip Müller, nobles figures, fossoyeurs de leur peuple, héros et martyrs tout à la fois. C’étaient des hommes simples, intelligents et bons qui, pour presque tous, dans l’enfer des bûchers et des crématoires – cet « anus mundi » selon le mot du Docteur Thilo, médecin S.S. – ne perdirent jamais leur humanité : Yossele Warszawski, de Varsovie, arrivé de Paris ; Lajb Panusz, de Lomza ; Ajzyk Kalniak, de Lomza également ; Josef Deresinski, de Grodno ; Lajb Langfus, de Makow-Mazowiecki ; Jankiel Handelsman, de Radom, arrivé de Paris ; Kaminski, le kapo ; Dov Paisikovich, de Transylvanie ; Stanislaw Jankowski, dit Feinsilber, de Varsovie, arrivé de Paris, un ancien des Brigades internationales (lui seul est encore de ce monde) ; Salmen Gradowski et Salmen Lewental, les deux chroniqueurs du commando spécial, qui nuit après nuit – et parce qu’ils pensaient qu’aucun ne survivrait – s’astreignirent à tenir le journal de la géhenne et enterrèrent leurs feuillets dans la glaise des crématoires II et III la veille même de la révolte avortée du Sonderkommando (7 octobre 1944), où ils laissèrent leur vie : manuscrits en yiddish, d’une haute et ferme écriture, retrouvés rongés et piqués d’humidité – l’un en 1945, l’autre en 1962 – manuscrits au trois quarts indéchiffrables et plus bouleversants encore de l’être. À la question – obscène – mais qu’on pose et qui sera posée, que j’ai posée moi-même : « Comment ont-ils pu ? Pourquoi ne se sont-ils pas suicidés ? », il faut les laisser répondre et respecter absolument leur réponse. Pour commencer, ils l’ont fait, ils se sont, nombreux, donné la mort, au premier choc, sautant vivants dans les fosses où rageait l’incendie ou suppliant qu’on les tue. Quel choc en effet ! Ce sont de tout jeunes hommes, ils ont dix-huit ans, vingt ans, vingt-cinq ans ; de Pologne, de Hongrie, de Grèce, ils arrivent à Auschwitz après des mois ou des années de ghetto, de misère et d’humiliation, après un atroce voyage (onze jours et onze nuits de Salonique à Auschwitz, dix-neuf de Rhodes par mer et par terre) : ils ont faim, ils ont soif, sur la rampe même, on les « sélectionne », on les arrache à leurs familles, on les rase, on les tatoue, on les fouette, on les assomme, on les conduit à travers bois sous les coups et les morsures des chiens policiers jusqu’aux palissades du crématoire V ou de la petite ferme. Et soudainement – mais peut-on jamais se préparer à ce spectacle-là – ils découvrent tout : les fosses, le rugissement des flammes, la cascade de cadavres enchevêtrés, bleuis, qui déferle par les portes tout à coup ouvertes de la chambre à gaz, torsades de corps qu’ils ont à dénouer et où ils reconnaissent leur mère, leur petite sœur, débarquées avec eux il y a quelques heures à peine. C’était le premier choc.
    Les juifs des rivages ensoleillés de la mer ionienne, doux juifs, tendres juifs d’Albert Cohen, ne le supportaient pas : ils se jetaient dans la fournaise, bras ouverts comme des plongeurs. Mais les mêmes (je veux dire ceux d’entre eux qui n’avaient pas sauté) accomplissaient deux mois plus tard leur tâche monotone : armés de lourdes dames de bouleau, ils pilonnaient sur une plaque de béton les fémurs, les tibias, les os les plus durs, que le feu n’avait pas entièrement réduits : ils le faisaient en chantant tout au long du jour, sous le ciel blanc de Birkenau : « Mama, son tanto felice ». Filip Müller m’a dit : « Je voulais vivre, vivre à toute force, une minute de plus, un jour de plus, un mois de plus. Comprenez-vous : vivre. » Mais
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