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Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz

Titel: Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
Autoren: Filip Muller
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pain qu’il glissa dans ma poche et me remit aussi une poignée de tabac avant de s’en aller. Je continuais donc à me demander avec perplexité ce qui l’amenait à ne pas me dénoncer. Peut-être désirait-il lui aussi, quelques jours avant la fin de la guerre, ne pas se faire remarquer en tant que chef du commando du crématoire V d’Auschwitz, et rester comme moi anonyme.
    Quelques jours plus tard, la situation avait empiré. Le camp Gusen I, qui était surchargé de détenus, devait maintenant se vider. Avant le départ, chacun reçut sa ration de pain et une colonne de détenus de plusieurs kilomètres de longueur accompagnée de nombreux gardiens se mit en marche. À en juger d’après la position du soleil, nous marchions dans la direction du sud-ouest.
    Après quelques kilomètres, des détenus commencèrent à s’effondrer et, selon l’implacable usage, à être immédiatement abattus. En cette ultime épreuve, les sbires S.S. s’efforçaient d’effacer les dernières traces de leurs crimes. Après que les premiers morts eurent été jetés sur le bord de la route, un chef S.S. choisit une équipe de dix hommes dont je dus faire partie, en nous ordonnant d’attendre ses instructions. J’étais évidemment à nouveau très inquiet, mais le fait que j’étais le seul homme qui eût fait partie du commando spécial me rassurait dans une certaine mesure.
    Entre-temps, les derniers détenus de la colonne s’étaient traînés péniblement jusqu’à nous, et nous attendions sur le bord de la route, en présence de l ’Unterführer, imperturbable. Une heure plus tard, une voiture à cheval arriva en sens inverse, fit demi-tour et s’arrêta. On nous ordonna alors de charger les morts dans la voiture.
    Le conducteur se dirigea vers le cimetière de la localité voisine où une large fosse avait été creusée et dans laquelle nous jetâmes les corps de ces morts anonymes. Puis nous rejoignîmes la colonne qui continuait sa marche. Le hasard – mais était-ce vraiment le hasard ? – avait voulu que je fusse de nouveau intégré à un commando qui avait pour mission de faire disparaître les cadavres…
    Comme la voiture aux cadavres laissait des traces de sang sur la route, à son passage dans les localités, les habitants se détournaient, effrayés, et disparaissaient dans leur maison. Certains nous regardaient avec compassion et ils nous auraient sûrement volontiers aidés. Beaucoup avaient laissé devant leur porte du pain, des pommes et des carottes, sur lesquels nous nous jetions, affamés, comme des bêtes sauvages. Lorsque je fus rassasié, je commençai à me constituer une petite provision et, ayant pu trouver un bout de corde qui traînait, je l’enlaçai autour de ma taille. Je pouvais aussi piquer et enfouir dans ma chemise tout ce qui tombait sous ma main de comestible. La situation des jours suivants me confirma que j’avais bien fait d’agir ainsi.
    Notre marche se termina enfin dans une forêt à proximité de Gunskirchen, près de Wels, où se trouvaient quelques baraquements en bois, entourés par des miradors. C’était notre dernière étape. Il n’y avait plus de S.S. pour nous surveiller. Plus d’appel, plus de commandements pour le départ au travail ; ici et là, quelques porteurs de baquets de soupe, sur lesquels se précipitaient les détenus comme une meute de loups. Plus de discipline ; dans les baraques, des centaines de gens au visage émacié gisaient sans force et apathiques, presque agonisants, sur le sol et regardaient dans le vide d’un air somnolent. Toute étincelle de vie paraissait éteinte en eux, prostrés dans un état de détresse lamentable. Comme les autres détenus du commando chargé de l’élimination des cadavres, je cachais dans ma chemise un peu de ravitaillement. Si l’un des nôtres l’avait découvert, j’étais un homme perdu ; tous se seraient jetés sur moi comme des bêtes féroces. Aussi devais-je prendre des précautions diaboliques. Je logeais sur un entrait du toit de l’une des baraques, que je ne quittais plus. Je m’étais attaché une ceinture autour de la taille pour ne pas perdre l’équilibre et m’étais aménagé un toit en laine au-dessus de moi. On entendait jour et nuit des plaintes et des gémissements, les morts gisaient en vrac. Personne ne s’en occupait. Dans cette ambiance et cette odeur innommable de putréfaction je devais constamment veiller à ne pas faire le moindre faux mouvement. Sinon
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