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S'il est minuit dans le siècle

S'il est minuit dans le siècle

Titel: S'il est minuit dans le siècle
Autoren: Victor Serge
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flanc, puis
un ventre… Il pesait de tout son poids sur ce corps qui ne résistait pas, il le
martelait de ses deux poings, aveuglément…
    – Camarade chef, vous permettez…
    La voix du Malingre le ramena à lui, le remit debout, rappelé
au souvenir glaçant de l’uniforme. Il avait de la paille jusqu’aux épaules, du
plâtre aux genoux, d’où ce plâtre ? c’était singulier, des égratignures et
du sang aux articulations des doigts. Les feuilles déchiquetées du dossier
tourbillonnaient autour de lui. Rodion lui parut sans connaissance. Le Malingre
referma la porte…
    … Pas un instant Rodion n’avait perdu sa lucidité la plus
aiguë. Il accomplissait plus qu’un devoir : une nécessité. Décharger les
camarades. Dérouter l’instruction. Défier la puissance malfaisante. Se donner. Il
se sentait assez de force insoupçonnée pour se battre avec n’importe qui. Il
eût terrassé le colosse Fédossenko. Renversé, meurtri, le corps labouré de
coups, il ne geignait point, songeant confusément. Frappe, brute ! tu ne
peux rien de plus. Cela, c’était une idée mâchée entre les dents saignantes ;
plus loin, au fond d’un silence béant, régnait un sentiment de puissance. Je
peux tout, même crever ici, victorieusement, sous tes bottes. Les verrous tirés,
Rodion se mordit la manche. De sa poitrine s’exhala un hurlement étouffé, pas
une plainte, un cri inarticulé pareil à celui des loups quand, par les nuits de
neige et de faim, toute la tristesse de la terre hurle à travers leur force.
    Chaque année, à la veille des semailles du printemps, le
pouvoir cherche à se concilier les paysans. Cette fois, une circulaire du
Centre avait prescrit, en mars, aux autorités de permettre, (ce qui voulait
dire susciter…) la réouverture de quelques églises « sans paraître
toutefois encourager une reprise de l’activité religieuse ». Deux mois
plus tard Le Sans Dieu, organe officiel de
la Société des athées, dirigé par un vieux membre du Comité central, dénonçait
ces symptômes de renaissance religieuse. Interrogé par la Commission centrale
de contrôle le bureau compétent de l’intérieur certifia que le pourcentage des
églises rouvertes demeurait inférieur de 0,3 au pourcentage prévu. Le directeur
du bureau fut déplacé sur l’heure : on eût souhaité en haut lieu que le
pourcentage prévu fût dépassé. Le secrétaire général l’avait laissé entendre :
« Eh, qu’ils prient un peu plus ou un peu moins, les paysans, nous nous en
foutons, pourvu qu’ils sèment ! » Le
Sans Dieu n’obtint donc pas du C.C. l’autorisation de poser largement la
question. Un des secrétaires du Bureau d’agitation et de propagande lui suggéra : «  Attaquez-vous plutôt aux sectes, il
y a longtemps que la Sûreté n’a pas regardé dans ce coin-là… » Une série d’articles
parut aussitôt dans un petit illustré à couverture mal imprimée en couleur d’un
triste vert grisâtre. Le pape, ricanant sous la tiare, y passait de la main à
la main à un général polonais une bombe à la mèche fumante… Les articles de
troisième page traitaient de la Renaissance des
sectes contre-révolutionnaires. Knapp les parcourut d’un œil éteint, pendant
qu’on lui coupait les cheveux. Mais trois semaines plus tard, la Pravda reproduisait avec approbation sept lignes
du deuxième de ces articles. Knapp lisait l’organe central du parti d’un bout à
l’autre et surtout entre les lignes. « Ah, mais… » Il sonna et
commanda pour le lendemain, à son secrétaire, une rapport détaillé sur les
sectes religieuses dans le rayon. Bien, chef. Knapp, en attendant, dut s’occuper
des déportés sionistes qu’un télégramme lui ordonnait d’arrêter et de
transférer sous escorte au centre régional. Étaient-ils deux ou trois ? Pas
de doute pour deux. Le troisième, communiste fidèle à la ligne générale, chargé
de cours dans un institut de Pédagogie, exclu, emprisonné puis déporté à la
suite d’une histoire de dilapidation de crédits, ne frayait pas avec les deux
premiers. Bien-pensant et discipliné, le dossier de cet Isaaksohn indiquait qu’il
était l’auteur de plusieurs articles sur le sionisme publiés par un organe du
parti. Par surcroît de précaution, Knapp le fit arrêter : on verrait bien
à la région, s’il fallait ou non le relâcher. Knapp, en termes voilés, fit part
de son doute au Centre régional. Les deux sionistes authentiques,
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