Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
répondez pas à ma question, major !
     
    Après un temps de réflexion opportunément offert à Carver par Ma Mae, qui rapportait la bouteille de champagne dans un rafraîchissoir et les verres commandés, Edward se décida.
     
    – Il arrive qu'une seule maladresse, qu'une seule erreur ternisse à jamais la réputation professionnelle d'un médecin et suscite la méfiance des malades. J'ai, comme nous tous, grande estime pour le docteur Weston Clarke, mais j'admets que la décision de lady Lamia de le tenir à l'écart de l'accouchement de votre femme est compréhensible.
     
    – Puis-je connaître cette raison, major ?
     
    – La même, mon ami, qui obligea il y des années Albert Weston Clarke à s'exiler aux West Indies.
     
    – Mais encore ? insista Charles percevant la réticence de Carver.
     
    – Bon, bon, votre curiosité va être satisfaite, mais gardez pour vous ce que je vais dire.
     
    – Promis !
     
    – Autrefois à Londres, Albert Weston Clarke avait une superbe clientèle depuis qu'appelé en consultation à Saint James, au chevet d'une dame d'honneur de la reine, il avait rapidement guéri celle-ci d'un érésipèle tenace. Quelques années plus tard, il allait être fait Knight Bachelor 3 par Sa Très Gracieuse Majesté quand, lors de l'accouchement d'une duchesse, apparentée à la famille royale, il décida d'user, comme c'est devenu la mode, d'un insensibilisant. Le procédé avait satisfait la reine Victoria, ainsi traitée par son accoucheur, le docteur James Young Simpson, d'Édimbourg. Hélas, Weston Clarke, au lieu de choisir comme Young le chloroforme récemment admis, préféra se servir d'éther sulfurique. On pense qu'il dosa trop généreusement la drogue censée assurer trois à six heures de relative insensibilité à la parturiente. La jeune femme s'endormit mais ne se réveilla pas, et la réputation d'Albert Weston Clarke fut définitivement compromise. Du jour au lendemain ses pratiques les plus huppées l'abandonnèrent. Tout juste si on ne le traita pas d'assassin. Simon, qui se trouvait à Londres à ce moment-là, avait consulté Weston Clarke pour une attaque de goutte. Devant le désarroi du médecin, au bord du suicide, il lui offrit de venir à Soledad, ce qu'Albert accepta, sa femme Dorothy étant, depuis la tragique mésaventure, rejetée comme épouse de charlatan !
     
    – Triste destin, en vérité. Mais aurait-il usé d'un insensibilisant pour accoucher ma femme, major ?
     
    – Peut-être du chloroforme qu'il avait méprisé et qui, de nos jours, est d'usage courant. Voyez-vous, Charles, Albert Weston Clarke, bon médecin et chirurgien habile, commit autrefois une imprudence que les confrères les mieux disposés à son égard ne lui ont pas pardonnée. Car, dès 1848, un praticien genevois, le docteur Louis Durand, avait signalé les dangers de l'éthérisation, disant que ses effets pouvaient être comparables à l'asphyxie et risquaient de conduire à la mort. C'est pourquoi...
     
    – ... c'est pourquoi, pour faciliter le travail de notre Ounca Lou et atténuer ses douleurs, Uncle Dave lui a administré, comme font les sages-femmes des Taino, une tisane de feuilles de Montanoa tomentosa , boisson inoffensive et légèrement soporifique, interrompit Lamia.
     
    Arrivant sur la galerie de son pas léger de ballerine, elle avait surpris la fin de la conversation.
     
    Avant qu'on ne débouche la bouteille apportée par Carver, Charles Desteyrac fut autorisé à voir sa femme et son fils. Dans la chambre qu'elle avait autrefois occupée, Ounca Lou souriait, radieuse, sous un drap de lin superbement brodé au chiffre de sa marraine, pièce d'un trousseau de mariage à jamais inutile. Seuls les cernes sous les yeux clairs de la jeune mère révélaient les récentes douleurs de l'épreuve.
     
    – Regardez comme il est beau et fort, dit-elle à Charles en désignant le nouveau-né dans son cocon de langes, posé sur le lit à son côté.
     
    Desteyrac se pencha sur un minuscule visage, rouge et fripé comme celui d'un vieil Indien. Cette larve humaine deviendrait peut-être un beau garçon. Pour l'instant, elle le faisait plutôt penser aux agneaux gluants qu'il avait vus sortir du ventre d'une brebis chez des paysans auvergnats.
     
    – Comment sont ses yeux ? demanda-t-il en effleurant d'un index peureux le duvet qui, d'après Kermor, annonçait une future toison brune.
     
    – Nous connaîtrons la couleur de ses yeux dans
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher