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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire
Autoren: David Rousset
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près d’eux,
qui leur sourient, précisément à cause de ce sourire. Ils connaissent d’expérience
toutes les intrigues qui mènent au pouvoir et qui renversent les hommes les
plus solides. Pour échapper aux pièges, ils préparent eux aussi leurs sapes et
s’engagent inéluctablement dans des dangers plus grands encore. Ils ont peur de
la plèbe, qu’ils rouent de coups, volent et injurient. Ils savent les haines
que nourrissent les détenus contre eux. Ils attendent la fin des camps avec
impatience et avec crainte. Mais, malgré les jalousies, les antagonismes
furieux, les aristocrates sont solidaires contre la plèbe. Il s’agissait un
jour d’un Vorarbeiter tchèque. Un tout petit fonctionnaire. C’était à Helmstedt.
Toni Brüncken, le S.S., l’avait cassé pour une vétille. Le soir, les Russes
crurent le moment venu. Poláček n’était plus Vorarbeiter. Il était comme
eux, et il les avait cruellement traités. Ils se lancèrent sur lui et l’abattirent
au sol. Lorsque la nouvelle parvint aux bureaucrates, ils eurent peur. Poláček
ne portait plus son titre, mais il avait été des leurs. L’action des Russes
était une menace contre eux. Franz et toute la bande des Kapos se ruèrent dans
les dortoirs sur les sept cents hommes affolés. Ils bavaient de colère. Les
matraques tombaient, creusaient de sillons rouges les nuques et les dos. Les
hommes s’effondraient, se poussaient, roulaient sous les lits, couraient, se
piétinaient dans les angles, hurlaient de terreur. L’ordre vint de se mettre nu.
Les vêtements furent jetés n’importe où, vite, très vite. Et la meute nue
sortit dans la cour, rentra dans le Block, sortit encore, rentra de nouveau, haletante,
affolée par les matraques. Pendant deux heures de temps. Les côtes des hommes
leur faisaient mal. Les Kapos étaient blêmes de fatigue. La rage et la peur
seules les tenaient. Toni Brüncken avait dégradé Poláček, mais il condamna
les hommes à passer la nuit étendus nus sur le béton. Il fallait enfoncer au
plus profond des cerveaux la peur des maîtres.
    *
    **
    Les Seigneurs S.S. ont des désirs. Les détenus sont des
excréments. Mais on peut encore faire de l’argent avec la merde. Même de très
grosses sommes. Et les excréments bureaucratiques peuvent être très bons pour
ce genre d’opération. La bureaucratie ne sert pas seulement à la gestion des
camps : elle est par ses sommets tout embrayée dans les trafics S.S. Berlin
envoie des caisses de cigarettes et de tabac pour payer les hommes. Des camions
de nourriture arrivent dans les camps. On doit payer toutes les semaines les
détenus ; on les paiera tous les quinze jours, ou tous les mois ; on
diminuera le nombre de cigarettes, on établira des listes de mauvais
travailleurs qui ne recevront rien. Les hommes crèveront de ne pas fumer. Qu’importe ?
Les cigarettes passeront au marché noir. De la viande ? Du beurre ? Du
sucre ? Du miel ? Des conserves ? Une plus forte proportion de
choux rouges, de betteraves, de rutabagas assaisonnés d’un peu de carotte, cela
suffira bien. C’est même de la bonté pure. Un choix discret s’impose pour les
conserves : des tonneaux de poissons, très bien. Ils sont quelque peu
pourris ; les Ruskis mangent de tout et les Polaks s’arrangeront. Tous ces
gens ont des estomacs particuliers. Du lait ? Beaucoup d’eau blanchie ;
ce sera parfait. Et tout le reste, viande, beurre, sucre, miel, conserves, lait,
pommes de terre, sur le marché pour les civils allemands qui payent et sont de
corrects citoyens. Les gens de Berlin seront satisfaits d’apprendre que tout
est bien arrivé. Il suffit que les registres soient en ordre et la comptabilité
vérifiable. Seigneur ! personne ne tient à savoir dans ce monde qui mange
vraiment. De la farine ? Mais comment donc, on diminuera les rations de
pain. Sans faire semblant. Les parts seront un peu moins bien coupées. Les
registres ne s’occupent pas de ces choses. Et les maîtres S.S. seront en
excellents termes avec les commerçants de l’endroit. La solde sera doublée ou
triplée ; tant mieux. C’est un bougre de métier, et il faut du muscle pour
gérer un camp. Il serait très agréable d’être reçu par le baron X. Le baron X a
des relations qui peuvent être utiles à Berlin. Précisément, il y a quelques
travaux de réfection à faire au château. On pourrait lui prêter des détenus. Ce
serait gracieux. Il n’aurait rien à payer. On espérerait
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