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L'univers concentrationnaire

L'univers concentrationnaire

Titel: L'univers concentrationnaire
Autoren: David Rousset
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quantités
appréciables de vivres. Le chef de chambrée, les Stubendienst, les Dolmetscher
en font autant. Le Vorarbeiter détient un certain pouvoir. Il peut au travail
planquer un homme ; il peut aussi le battre. Les hommes sont donc amenés à
se le concilier. Reçoivent-ils des colis, ils lui en donnent une part. Sinon, ils
lui offrent des cigarettes. Les travailleurs sont, en effet, pratiquement payés
en cigarettes, et le tabac est une monnaie de très grande valeur. Le même
trafic se reproduit à une plus haute échelle avec le Kapo, dont les pouvoirs
sont bien plus étendus. Egalement avec le chef de chambrée ou le chef de Block,
qui disposent des corvées et des coups. D’ailleurs, ceux qui reçoivent des
paquets sont contraints à ces cadeaux dans la crainte de voir autrement leurs
colis entièrement volés. Les bureaucrates à tous les échelons se distinguent
donc par une vigueur physique et une carrure tranchant sur la misère physiologique
de la plèbe.
    Les bureaucrates ont une pièce à part, un lit, un placard. Dans
certains cas, comme à Neuengamme, un Block leur est réservé. Ils disposent d’une
gamelle personnelle et d’un couvert. Il faut avoir vécu dans ces antres puants,
surchargés, où les hommes dans la sueur et la pestilence des corps sales s’entassent
à deux, trois, parfois quatre et cinq par paillasse, des grappes abruties
suspendues les unes au-dessus des autres sur trois, quatre étages, avec des
planches mal jointes, dans une poussière qui prend à la gorge, au milieu des
vociférations et des coups – pour comprendre ce que pouvait représenter la plus
lamentable pièce, avec un peu de tranquillité et une paillasse à soi. Etre
obligé de tout porter sur soi, tous les menus objets que l’on a récupérés avec
mille peines et qui sont indispensables, parce qu’on ne dispose même pas d’un
rayon pour les ranger. Craindre constamment que les paillasses, les planches, la
couverture, les souliers ne soient volés et, pour l’éviter, s’interdire de
circuler, rester cloué au grabat commun. Etre obligé d’attendre pendant des
heures une gamelle, de se battre pour l’obtenir, pour la garder, une miska sale
où des dizaines ont déjà mangé, et peut-être que l’un d’eux a pissé dedans. Eviter
toutes ces préoccupations sordides, quel apaisement, quel privilège envié, jalousé
comme une croûte de pain ! Les bureaucrates sont moins battus que le
commun. Ils battent les autres. Et plus leur grade est élevé, moins ils
reçoivent de coups et plus ils en dispensent. Et c’est encore préserver sa vie.
Les bureaucrates sont armés : Gummi, gourdin, matraque, et de ce fait ils
gagnent une assurance complètement étrangère à la plèbe. Ils sont mieux
habillés, et ressemblent donc un peu plus à des hommes.
    Ils ne travaillent pas, ne sont pas soumis à cet
extraordinaire marché d’esclaves qui préside le matin à la formation des
Kommandos. C’est beaucoup de terreur en moins.
    Ils ont des postes de choix, des travaux de bureau au chaud,
à l’abri du vent et de la neige, de la pluie, et surtout de cette petite pluie
fine qui tombe des jours entiers et glace. C’est la certitude de vivre.
    Ils peuvent fumer plus que les autres, boire de l’alcool
aussi, détendre donc les nerfs. Ils connaissent mieux la situation et peuvent
ainsi, dans certaines limites, prévoir et préparer l’avenir. Ils ont deux fois,
dix fois, mille fois plus de possibilités que la grande masse des détenus de
sauver leur vie.
    Et alors quelles luttes, quel déchaînement de passion pour
arracher un poste, monter les degrés de la hiérarchie. Comme l’être qui sait
que tous les instants mettent en question son existence, que la torture, la
peur, la faim, ont dévêtu de tous les préjugés, de toutes les conventions, de
toutes les dignités, comme cet être est cynique et vorace, avec quelle rapacité
il se sert de toutes les vilenies pour triompher, avec quelle fureur tenace il
s’accroche et mord.
    Mais les aristocrates eux aussi ont peur. Ils savent que le
S.S. n’a qu’à lever un doigt pour qu’ils soient chassés, battus au fouet, envoyés
dans le Kommando le plus répugnant ou pendus à la porte du Krematorium. Alors, il
faut tout accepter, faire tout jusqu’à la plus ignominieuse besogne, y courir, s’y
précipiter, battre à mort les autres, devenir délateur pour garder le poste et
les privilèges. Ils ont peur de leurs collègues, de ceux qui couchent
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