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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne
Autoren: Maurice Druon
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déjà le signe d’un beau courage. Mais Guccio,
cet été là, se sentait invincible ; il aimait et se savait aimé.
    Il assurait donc la princesse,
contre toute évidence, que le temps était en train de se lever, affirmait que
le bateau était solide au moment qu’il craquait le plus fort, et racontait pour
comparaison la tempête qu’il avait essuyée l’an précédent, en traversant la
Manche, et dont il était sorti indemne.
    — J’allais porter à la reine
Isabelle un message de Monseigneur d’Artois…
    La princesse Clémence, elle aussi,
se conduisait de façon exemplaire. Réfugiée dans le paradis, grande chambre
aménagée pour les hôtes royaux dans le château d’arrière, elle exhortait au
calme ses dames suivantes qui, pareilles à un troupeau de brebis apeurées,
bêlaient et se cognaient aux parois à chaque coup de mer. Clémence n’eut pas un
mot de regret lorsqu’on lui annonça que ses coffres à robes et à bijoux étaient
passés par-dessus bord.
    — J’aurais bien donné le
double, dit-elle seulement, pour que nos braves mariniers n’eussent point été
assommés par le mât.
    Elle était moins effrayée de la
tempête que frappée par le signe qu’elle y voyait.
    « Voilà ; ce mariage était
trop beau pour moi, pensait-elle ; j’en ai conçu trop de joie et j’ai
péché par orgueil ; Dieu va me naufrager parce que je ne méritais pas
d’être reine. »
    Le cinquième matin de cette affreuse
traversée, la princesse, alors que le navire se trouvait dans un creux de vent
mais sans que la mer semblât vouloir s’apaiser pour autant, aperçut le gros
Bouville, pieds nus, en simple cotte et tout échevelé, qui se tenait à genoux,
les bras en croix, sur le pont du vaisseau.
    — Que faites-vous donc là,
messire ? lui cria-t-elle.
    — Je fais comme Monseigneur
Saint Louis, Madame, lorsqu’il faillit être noyé devant Chypre. Il promit de
porter une nef de cinq marcs d’argent [4] à saint Nicolas de Varengeville, si Dieu voulait le ramener en France. C’est
messire de Joinville qui me l’a conté.
    — Je promets d’en offrir autant
à saint Jean-Baptiste, dont notre nef porte le nom, dit alors Clémence. Et si
nous réchappons, et que Dieu m’accorde la grâce d’avoir un fils, je fais vœu
d’appeler ce fils Jean.
    — Mais nos rois ne se nomment
jamais Jean, Madame.
    — Dieu en décidera.
    Elle s’agenouilla aussitôt et se mit
en prières.
    Vers l’heure de midi, la violence de
la mer commença de décroître, et chacun reprit espoir. Puis le soleil déchira
les nuages ; la terre était en vue. Le capitaine reconnut avec joie les
côtes de Provence, et, plus précisément, à mesure qu’on approchait, les
calanques de Cassis. Il n’était pas médiocrement fier d’avoir maintenu son
navire en direction.
    — Vous allez nous faire aborder
au plus vite à cette côte, je pense, maître marinier, dit Bouville.
    — C’est à Marseille que je dois
vous conduire, messire, répondit le capitaine, et nous n’en sommes guère
éloignés. De toute façon, je n’ai plus assez d’ancres pour mouiller auprès de
ces rochers.
    Un peu avant le soir, le San
Giovanni , mû par ses rames, se présenta devant le port de Marseille. Une
embarcation fut mise à la mer pour prévenir les autorités communales et faire
abaisser la chaîne qui fermait l’entrée du port, entre la tour de Malbert et le
fort Saint-Nicolas. Aussitôt, gouverneur, échevins et prud’hommes accoururent,
ployés sous un fort mistral, pour recevoir la nièce de leur suzerain car
Marseille était alors possession des Angevins de Naples.
    Sur le quai, les ouvriers des
salines, les pêcheurs, les fabricants de rames et d’agrès, les calfats, les
changeurs de monnaie, les marchands du quartier de la Juiverie, les commis des
banques génoises et siennoises, contemplaient, stupéfaits, ce gros vaisseau
sans voiles, démâté, rompu, dont les matelots dansaient et s’embrassaient sur
le pont en criant au miracle.
    Les chevaliers napolitains et les
dames d’escorte tâchaient à mettre de l’ordre dans leur toilette.
    Le comte de Bouville, qui avait
maigri de plusieurs livres et flottait dans ses vêtements, proclamait à la
ronde l’efficacité de son vœu et semblait considérer que chacun devait la vie à
sa pieuse initiative.
    — Messire Hugues, lui dit
Guccio avec une pointe de malice, il n’est pas de tempête, à ce que j’ai ouï
dire, où quelqu’un ne prononce un vœu
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