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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne
Autoren: Maurice Druon
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plaisaient à
reproduire en leurs fresques son visage clair, ses cheveux d’or, ses longues
mains effilées.
    Du haut de la plate-forme crénelée
qui formait le toit du château d’arrière, à trente pieds au-dessus des eaux, la
fiancée du roi de France jetait un dernier regard sur le paysage de son
enfance, sur le vieux château de l’Œuf où elle était née, sur le Château-Neuf,
le Maschio Angioino, où elle avait grandi, sur cette foule grouillante qui lui
lançait des baisers, sur toute cette ville éclatante, poussiéreuse et sublime.
    « Merci, Madame ma
grand-mère », pensait-elle, les yeux tournés vers la fenêtre où venait de
disparaître la silhouette de Marie de Hongrie « Je ne vous reverrai sans
doute jamais. Merci d’avoir tant fait pour moi. Je me désolais, à vingt-deux
ans atteints, d’être encore sans mari ; je n’attendais plus d’en trouver
un, et m’apprêtais à entrer au couvent. C’était vous qui aviez raison de
m’imposer patience. Voici que je vais être reine de ce vaste royaume
qu’arrosent quatre fleuves et que baignent trois mers. Mon cousin le roi
d’Angleterre, ma tante de Majorque, mon parent de Bohême, ma sœur la dauphine
de Vienne, et même mon oncle Robert, qui règne ici et dont jusqu’à ce jour je
n’étais que la sujette, vont devenir mes vassaux pour les terres qu’ils
possèdent en France, ou les liens qu’ils ont avec cette couronne. Mais n’est-ce
pas trop lourd pour moi ? »
    Elle éprouvait à la fois
l’exaltation de la joie, l’angoisse de l’inconnu, et le trouble qui saisit
l’âme aux changements irrévocables de la destinée, même lorsqu’ils dépassent
les rêves.
    — Votre peuple montre qu’il
vous aime fort, Madame, dit un gros homme à côté d’elle. Mais je gage que le
peuple de France va vite vous aimer autant, et qu’à seulement vous voir, il va
vous faire un accueil tout pareil à cet adieu.
    — Ah ! Vous serez toujours
mon ami, messire de Bouville, répondit Clémence avec chaleur.
    Elle avait besoin de répandre sa
félicité autour d’elle et d’en remercier chacun.
    Le comte de Bouville, envoyé du roi
Louis X, et qui avait conduit les négociations, était revenu à Naples
voici deux semaines pour chercher la princesse et l’accompagner en France.
    — Et vous aussi, signor
Baglioni, vous êtes bien mon ami, ajouta-t-elle en se tournant vers le jeune
Toscan qui servait de secrétaire à Bouville et tenait les écus de l’expédition,
prêtés par les banques italiennes.
    Le jeune homme s’inclina sous le
compliment.
    Certes, tout le monde était heureux,
ce matin-là. Hugues de Bouville, suant un peu sous la chaleur de juin et
rejetant derrière les oreilles ses mèches noires et blanches, se sentait tout
aise et tout fier d’avoir rempli sa mission et d’amener à son roi une si
splendide épouse.
    Guccio Baglioni rêvait à la belle
Marie de Cressay, sa secrète fiancée, pour laquelle il rapportait un plein
coffre de soieries et de parures brodées. Il n’était pas certain d’avoir eu
raison de demander à son oncle Tolomei la direction du comptoir de banque de
Neauphle-le-Vieux. Devait-il se contenter d’un si petit établissement ?
    « Bah ! Ce n’est qu’un
début ; je pourrai vite changer de position, et d’ailleurs, je passerai le
plus clair de mon temps à Paris. » Assuré de la protection de la nouvelle
souveraine, il n’envisageait pas de limites à son ascension. Il voyait déjà
Marie dame de parage de la reine et s’imaginait lui-même, dans peu de mois,
recevant une charge dans la maison royale… Le poing sur la dague, le menton
levé, Guccio regardait Naples se déployer devant lui dans le soleil.
    Dix galères firent escorte au navire
jusqu’à la haute mer ; les Napolitains virent s’éloigner, diminuer, ce
château fort tout blanc qui avançait sur les eaux.
     

II

LA TEMPÊTE
    À quelques jours de là, le San
Giovanni n’était plus qu’une carcasse gémissante et à demi démâtée, fuyant
sous les rafales, roulant dans des vagues énormes, et que son capitaine
essayait de maintenir à flot dans la direction supposée des côtes de France.
    Le navire avait rencontré, à hauteur
de la Corse, une de ces tempêtes, violentes autant que soudaines, qui ravagent
parfois la Méditerranée. Il avait perdu six ancres en cherchant à mouiller
contre le vent, le long des rivages de l’île d’Elbe, et peu s’en était fallu
qu’il n’eût été jeté aux
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