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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne
Autoren: Maurice Druon
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rochers. Et puis la course avait repris, entre des
murailles d’eau. Un jour, une nuit, un jour encore de cette navigation en
enfer. Plusieurs matelots avaient été blessés en amenant ce qui restait de
toile. Les châtelets de guet s’étaient effondrés avec tout le chargement de
pierres destiné aux pirates barbaresques. On avait dû ouvrir à coups de hache
l’escandolat pour délivrer les chevaliers napolitains emprisonnés par la chute
du grand mât. Tous les coffres à robes et à bijoux, toute l’orfèvrerie de la
princesse, tous ses présents de noce avaient été balayés par la mer.
L’infirmerie du barbier-chirurgien, dans le château d’avant, regorgeait de
malades et d’estropiés. L’aumônier ne pouvait même plus célébrer sa
« messe aride », car ciboire, calice, livres et ornements avaient été
emportés par une lame [3] .
Agrippé à un cordage, le crucifix en main, il écoutait des confessions hâtives
et distribuait les absolutions.
    L’aiguille aimantée ne servait plus
à rien, car elle était ballottée en tous sens sur le peu d’eau qui restait dans
le vase où elle flottait. Le capitaine, un Latin véhément, avait déchiré sa
robe jusqu’au ventre, en signe de désolation, et on l’entendait hurler, entre
deux commandements : « Seigneur, aide-moi ! » Il n’en
semblait pas moins connaître son affaire et cherchait à se tirer au mieux du
pire ; il avait fait sortir les rames, si longues et si lourdes qu’il
fallait sept hommes cramponnés à chacune pour les manœuvrer, et appelé douze
matelots auprès de lui pour peser, six de chaque côté, sur la barre de
gouvernail. Le comte de Bouville pourtant s’en était pris à lui, dans un
mouvement d’humeur, au début de la bourrasque.
    — Eh ! Maître marinier,
est-ce ainsi qu’on secoue la princesse promise au roi mon maître ? Votre
nef est mal chargée, pour que nous roulions autant, et vous ne savez point
naviguer ! Si vous ne vous hâtez de faire mieux, je vous traduirai à
l’arrivée devant les prud’hommes du roi de France, et vous irez apprendre la
mer sur un banc de galère…
    Mais cette colère était vite tombée.
L’ancien grand chambellan avait soudain vomi sur les tapis d’Orient, imité en
cela d’ailleurs par la presque totalité de l’escorte. La face blême, et trempé
d’embruns des cheveux jusqu’aux chausses, le gros homme, prêt à rendre son âme
chaque fois qu’une nouvelle vague soulevait le navire, gémissait entre deux
hoquets qu’il ne reverrait jamais sa famille et qu’il n’avait point assez péché
dans sa vie pour souffrir autant.
    Guccio, en revanche, se montrait
d’une étonnante vaillance. La tête claire, le pied agile, il avait pris soin de
faire mieux arrimer ses coffres, particulièrement celui aux écus ; dans
les instants de relative accalmie, il courait quérir un peu d’eau pour la
princesse, ou bien répandait autour d’elle des essences, afin de lui dissimuler
la puanteur qu’exhalaient les indispositions de ses compagnons de voyage.
    Il est une sorte d’hommes, de jeunes
hommes surtout, qui se conduisent instinctivement de manière à justifier ce
qu’on attend d’eux. Les regarde-t-on d’un œil méprisant ? Il y a toutes
chances qu’ils se comportent de façon méprisable. Sentent-ils au contraire
l’estime et la confiance ? Ils se surpassent et, bien que crevant de peur
autant que quiconque, agissent en héros. Guccio Baglioni était de cette
race-là. Parce que Donna Clemenza avait une manière de traiter les gens,
pauvres ou riches, grands seigneurs ou manants, qui donnait de l’honneur à
chacun, parce qu’elle témoignait, en plus, une spéciale courtoisie à ce jeune
homme qui avait été un peu le messager de son bonheur, Guccio, auprès d’elle,
se sentait devenir chevalier et se comportait plus fièrement qu’aucun des
gentilshommes.
    Toscan et donc capable, pour briller
aux yeux d’une femme, de toutes les prouesses, il n’en demeurait pas moins
banquier dans l’âme et le sang, et il jouait sur le destin comme on joue sur
les changes.
    « Le péril est l’occasion
parfaite de devenir l’intime des grands, se disait-il. Si nous devons tous
affonder et périr, ce n’est point de s’écrouler en lamentations, comme le fait
le cher Bouville, qui changera notre sort. Mais, si nous en réchappons, alors
j’aurai conquis l’estime de la reine de France. » Pouvoir penser de la
sorte, en un pareil moment, était
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