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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer
Autoren: Pierre Naudin
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grâce à lui l’étreinte de Lerga. Il la plaçait et la replaçait sur l’échafaud des dames, aux lices de Chauvigny, pendant qu’il dominait ses rivaux à la joute. Il imaginait, sous la robe ponceau qu’elle portait à leur ultime séparation, les seins aux courbes délicieuses et les jambes dont il ne connaissait que les fines chevilles. Il recréait ses yeux, son front haut, son sourire et contemplait à son annulaire l’anneau à chaton plat qu’elle lui avait offert en signifïance d’amour. Il se souvenait, le cœur fou, de la petite main posée sur la sienne pendant qu’ils dansaient, au château d’Alix d’Harcourt, un pas de Brabant qu’elle lui avait enseigné.
    Il tapota la dure et tiède encolure de son destrier :
    — Bon sang, Marchegai ! Avoir cheminé tant de lieues pour éprouver cette déconvenue…
    Dans l’ombre des ramures, l’œil d’onyx du grand cheval moreau, frangé de cils épais, l’observait attentivement.
    — Belle bête, messire, dit Gardic en prenant les rênes qu’on lui tendait. Il doit bien valoir plus de trente livres tournois. L’an passé, à la foire de Lessay, j’ai vu un haussant à vingt-six, un liard à vingt-trois et un ferran à vingt [8] , mais je n’avais aucun écu… J’ai eu mon Maigremor sans bourse délier, au bas de la combe [9] de Crécy… Il y en avait des douzaines…
    — Beau et blanc comme il est, dit Joubert, il appartenait à un grand seigneur.
    — Au lieu de paroler comme des commères, grogna Tinchebraye, vous feriez mieux de vous mettre à couvert. Si les Goddons nous aperçoivent, nous serons débuchés comme à Crécy, justement, et par ma foi taillés en pièces !
    Tout en posant son carquois et son arbalète sur le sol, Delaunay soupira puis, frottant ses reins et se cambrant autant que son harnois le lui permettait :
    — Cesse de grogner, compère : Crécy est loin, Ponthieu de merde !
    Il s’attendait, par cette calembourdaine, à provoquer des rires ; il n’en fut rien. Alors, plus faiblement, parce que cet aveu lui coûtait :
    — À Crécy j’ai su me tenir à couvert ! Chevaliers, écuyers, le roi et les évêques s’étaient rués à la vaine prouesse. Pas moi !… Messire Argouges, on sait ce que vous avez fait : pas un de nous ne vous fera défaut, mais faudrait qu’on connaisse vos intentions !
    — Je te sais bon gré de ta sincérité. Nous allons passer la journée en ce boqueteau. Cette nuit, si les Poitevins tiennent bon, nous irons voir de près leurs murailles.
    Après avoir senti Blandine menacée de mariage, voilà que le viol et la mort pouvaient fondre sur elle, et il était là, bras pendants, à vivifier une fois de plus le passé sans recouvrer pourtant ses yeux nacrés de larmes, sans réentendre sa voix menue l’assurer qu’elle lui conserverait sa foi ! À travers les entrelacs des feuilles et ramilles, il voyait les tours et les courtines au-delà desquelles elle se désespérait ; et si les jets de pierres venaient de s’interrompre, c’était sans doute pour les remarteler très bientôt. Il eût pu compter les hautes têtes des églises, autour de celle, épaisse, de la cathédrale, et son attention se porta sur deux maigres et hauts donjons couronnés d’échauguettes, en avant de la cité. Un pont, c’était un pont ; de l’eau miroitait autour… Portée par un fort coup de vent, l’odeur des braises et des charpentes ardentes s’insinua sous la feuillée. Il en était trop éloigné mais pouvait imaginer la crépitation des flammes et le ronflement des fumées.
    — Il m’en coûte, compagnons, d’assister à ces destructions !… Nous sommes sept, les Anglais vingt ou trente mille… Soulageons notre sommier de ses fardeaux mais laissons leur selle aux autres chevaux… Delaunay, puisque tu en tiens les rênes : ce sommier est patient et je le crois vaillant. Tu l’avais quand je t’ai connu. L’as-tu baptisé ?
    — Je l’aurais offensé en l’appelant Crécy mais l’appellerais volontiers Tencendur…
    — Comme le cheval de Charlemagne !
    — Temps-sont-durs que je le nommerais, moi ! ricana Joubert.
    Ogier, d’un sourire, approuva son pennoncier.
    — Voyez, dit-il, l’herbe est bonne pour nos bêtes. Mangeons puis essayons de dormir les uns après les autres. Cette nuit, nous nous approcherons de la cité… Il me faut tenter d’y entrer !
    — Il vous faudra surtout, si vous y parvenez, en sortir avec cette pucelle,
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