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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc
Autoren: Nicolas Remin
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trépied, attrapa au passage son haut-de-forme accroché à une patère et tint la porte à son assistant aux mains pleines.
     
    Étonnant, pensa Tron une demi-heure plus tard en descendant de sa gondole amarrée à la fondamenta Nuove, étonnant que la vue d’un cadavre continue de lui procurer une excitation de novice. Chaque fois, son pouls s’accélérait, des gouttes de sueur lui perlaient au front et coulaient dans sa nuque, ce qui l’obligeait à ôter son chapeau.
    Pourtant, le mort allongé dans une flaque d’eau boueuse au pied du mur de soutènement n’offrait même pas un spectacle insoutenable. Il avait les yeux fermés, la tête inclinée sur le côté et le front traversé par une balafre de la longueur d’un doigt qui semblait plutôt résulter d’une chute bénigne que d’une arme tranchante. La peau de son visage et de ses mains était gonflée, mais un séjour de plusieurs jours dans l’eau paraissait peu probable.
    À quelque distance de là, un petit attroupement rappelait le chœur d’une tragédie grecque, se demandant : « Ah, qui me le dira ? Un pêcheur sur la rive Qui jette sans repos ses filets dans l’eau vive ? » L’action du drame inespéré se déroulant sous ses yeux traînait cependant en longueur et ne s’accéléra guère quand l’inspecteur Bossi se mit à photographier le cadavre sous tous les angles. Ce n’était pas la première fois que les curieux regardaient un photographe enfouir son buste sous un carré de velours noir à chaque prise de vue.
    Le décor, en revanche, était grandiose. L’ouest de la lagune, barré par les îles de San Michele et de Murano, s’étendait en face du quai. Derrière, les sommets crénelés des Préalpes évoquaient des découpes aux ciseaux, collées sur une feuille de carton bleu. Ce n’était pas vraiment un jour pour s’occuper d’un crime, pensa le commissaire dans un soupir. En admettant qu’il s’agisse bien d’un crime.
    Quand le docteur Lionardo fit son apparition, Bossi était déjà en train de ranger son matériel. Le légiste portait son habituelle pèlerine noire et un haut-de-forme élimé qui brillait dans le soleil comme s’il était lustré. Il ne devait pas avoir beaucoup dormi la nuit précédente car il avait de tout petits yeux et, en sortant de la gondole, il eut du mal à retenir un bâillement. Tron prit soudain conscience que, malgré plusieurs années de collaboration, ils n’avaient jamais mené une seule conversation d’ordre privé. Le médecin était-il marié ? Avait-il des enfants ? Ou était-il vieux garçon ? Il l’ignorait. Néanmoins, il l’estimait pour la rapidité et la qualité de son travail. Et il appréciait aussi la délicatesse presque cérémonielle avec laquelle il traitait les morts, comme s’ils étaient encore en vie et éprouvaient toujours des sensations ou des sentiments.
    Après avoir fini son examen, le docteur se releva et, sans un mot, tendit au commissaire un bout de papier détrempé. Tron déplia avec précaution la feuille imbibée et ne put cacher sa surprise en déchiffrant les lettres à demi effacées. Il s’agissait d’un billet de chemin de fer de première classe, délivré à Vérone le jour précédent pour le train de huit heures. À supposer que cet homme fût bel et bien parti pour Venise la veille au soir, comment expliquer l’absence d’argent et de tout autre papier ? Les lui avait-on volés avant de jeter son corps dans la lagune ? Ou un détail avait-il échappé à Lionardo ? Non, cette hypothèse était exclue. Rien ne lui échappait jamais. Tron leva le nez du billet.
    — Savez-vous de quoi il est mort ?
    — Je crois qu’il s’est brisé la nuque, répondit le légiste.
    — Et la plaie sur son front ?
    — Une simple égratignure.
    — Avez-vous remarqué des traces de résistance ?
    Lionardo secoua la tête.
    — Rien qu’une ecchymose à la main droite. Elle peut avoir quantité de raisons.
    Tron posa alors la question décisive.
    — Était-il déjà mort au moment où il a chuté dans la lagune ?
    Le médecin tourna la tête sur le côté pour suivre du regard des mouettes qui passaient au-dessus du ponte dei Mendicanti.
    — S’il respirait encore, les poumons devraient contenir de l’eau. Je ne le saurai qu’après l’autopsie.
    — Quand aurai-je votre rapport ?
    — Demain matin.
     
    — De toute évidence, l’assassin a vidé les poches de sa victime pour nous empêcher de l’identifier, déclara Bossi. Le
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