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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc
Autoren: Nicolas Remin
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la précision d’une horloge suisse, et la cerise sur le gâteau était que le général d’artillerie était parvenu à liquider le tirailleur. L’empereur ignorait comment il s’y était pris, mais de toute évidence, son officier d’ordonnance avait réussi à manipuler le commissaire tant et si bien que celui-ci n’avait plus eu qu’à tuer cet individu. L’aura de sauveur qui entourait maintenant le policier était bien entendu à mourir de rire, mais cela ne l’empêcherait pas de lui adresser quelques mots de reconnaissance dans le courant de la soirée et de lui laisser entrevoir une distinction à la hauteur de son geste. Ce Tron était, paraît-il, dévoré par l’ambition. Une médaille quelconque était exactement ce qu’il lui fallait.
    Et Sissi, rayonnante à ses côtés, que ressentait-elle à présent ? Quand il était entré dans sa suite pour lui remettre le collier, peu avant le début du bal, elle lui avait sauté au cou d’un geste spontané et l’avait appelé chéri . Puis elle l’avait fixé pendant un long moment, d’un air indécis, comme si elle se demandait qui au juste se tenait devant elle. Un homme avec moins d’expérience aurait été troublé. Par chance, il connaissait assez les femmes pour reconnaître, derrière l’apparente indécision de son regard, une expression de profonde admiration pour celui qui avait failli mourir sous ses yeux et n’avait pas perdu son calme un seul instant.
     
    Comme les gondoles obstruaient le rio dei Giardinetti jusqu’au bassin de Saint-Marc, Tron et la princesse mirent un bon moment à retrouver la leur afin de rentrer au palais Balbi-Valier. Le fond de l’air était frais, mais le ciel dégagé. La lune ronde brillait au-dessus de la lagune, et pourtant, le ciel d’un noir profond était parsemé d’étoiles plus nombreuses que d’habitude. C’est seulement lorsqu’ils eurent dépassé la Douane de mer et que la silhouette de la Salute se dessina à l’horizon, telle une gigantesque coupe à fruits, que le commissaire rompit le silence dans lequel ils étaient plongés.
    — Tu as parlé un long moment avec l’impératrice, dit-il. Königsegg estime que vous avez passé au moins une heure à papoter sur la causeuse, pour reprendre ses termes. Si personne ne l’a remarqué, c’est juste parce que, ce soir, François-Joseph retenait toute l’attention.
    Il ôta son haut-de-forme et tendit les jambes.
    — L’impératrice en était ravie, dit Maria. Quelle femme sympathique !
    — De quoi avez-vous discuté ?
    — Pour commencer, nous avons admiré réciproquement nos colliers. Puis nous avons convenu qu’il y avait des choses plus importantes dans l’existence.
    — Par exemple ?
    — Tomber sur le bon époux. Ou rester célibataire. Quoi qu’il en soit, elle nous admire de vivre ensemble sans être mariés. Elle nous a comparés à Chopin et George Sand.
    — C’est très flatteur.
    Tron tourna la tête pour suivre du regard une gondole illuminée. Les petites vagues d’étrave empêchaient les rayons de la lune de se refléter sur la surface noire du Grand Canal. Alors, il demanda :
    — A-t-elle informé son mari que le pot de fleurs à côté de lui n’a pas explosé par un effet pyrotechnique raffiné ? Je n’ai pas l’impression.
    — Non, elle n’a pas osé, confirma la princesse. François-Joseph était si heureux que son plan ait marché ! Elle ne voulait pas lui gâter son plaisir.
    Maria se tut quelques secondes avant d’ajouter :
    — En dehors de cela, elle adore le petit chien de Königsegg. Elle le gave de gâteau aux cerises.
    Puis elle éclata de rire.
    — Elle le soupçonne d’appartenir à une race de chiens de combat, mais ne l’a pas encore dit à son maître. Elle craint que cette nouvelle ne l’ébranle.
    — Donc, tout n’est à nouveau que malentendus, soupira Tron.
    Elle hocha la tête.
    — Sans malentendus, le chaos serait encore pire.
    Le commissaire se cala dans les coussins, appuya sa tête en arrière et aperçut un point lumineux qui traversait le ciel. L’espace d’un instant, il crut que c’était une étoile filante. En fait, il s’agissait juste d’un mégot que quelqu’un avait jeté par une fenêtre du palais Da Mula devant lequel ils passaient.
    — Je me demande, dit-il d’une voix lente, sur quel malentendu repose notre relation.
    Sa fiancée haussa les épaules.
    — Mon rapport à toi est de toute façon complètement irrationnel.
    Comme pour confirmer
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