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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc
Autoren: Nicolas Remin
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devrait être vide.
    Le colonel de division l’approuva, se baissa aussitôt, ramassa le fusil, fit basculer le canon et le referma. Quand il se redressa, il était pâle comme un linge.
    — La culasse est vide.
     
    François-Joseph s’était attendu à une détonation violente une fois qu’il serait arrivé à dix, un coup de feu bruyant, suivi d’un nuage de fumée au-dessus d’une des lucarnes de la Marciana. Or au lieu de cela, il entendit un paf coutumier et vit un des pots de fleurs à côté de lui exploser. De petits jets de terre cuite et de terreau, de feuilles et de pétales jaillirent sur ses bottes et sur les aigrettes des soldats alignés devant l’estrade, qui se retournèrent tout à coup d’un air effrayé. Une femme poussa un cri hystérique, une autre s’évanouit. Comme prévu, la panique se répandit dans les premiers rangs.
    Pendant un court instant, l’empereur fut troublé. Mais le réflexe qu’il avait développé grâce à la tapette à mouches le sauva. Il leva le bras droit, se remplit les poumons et sentit sa poitrine se gonfler sous sa veste d’uniforme. Alors, les paroles jaillirent d’elles-mêmes avec force :
    — Sur le toit de la bibliothèque !
    François-Joseph savait que le colonel Hölzl et ses hommes allaient aussitôt se mettre en branle. Il sentit que la foule, rassurée par sa présence d’esprit, se calmait déjà. Il jeta un coup d’œil sur les restes du pot de fleurs et eut du mal à contenir un sourire devant tant de réalisme. Cet effet avait dû traverser l’esprit de Crenneville et du colonel Hölzl à la toute dernière minute. Il n’était pas normal qu’on ait omis de le prévenir, mais il devait reconnaître que la mise en scène était réussie. La balle du tireur l’avait frôlée pour atterrir en fin de compte dans un pot de fleurs. Tout le monde l’avait vu. On ne pouvait pas espérer mieux.

54
    — Ce collier est parfait ! déclara Tron.
    Il fit jouer le fermoir, rabattit le minuscule méplat et retint avec vaillance l’envie d’embrasser la nuque de sa fiancée dont le visage se reflétait, telle une vision, dans le miroir de sa coiffeuse, entre deux candélabres à quatre branches, au-dessus d’un océan de flacons, de poudriers, de miroirs à main, de peignes et de brosses. Il n’aurait pas été surpris si dans l’instant suivant, Maria s’était envolée vers le ciel comme la Vierge du Titien dans l’église des Frari.
    — Il n’est nullement parfait, répliqua la princesse d’un ton bougon. Il me vieillit.
    Quoi, comment ? Tron roula des yeux. Il était rentré au palais Balbi-Valier une demi-heure plus tôt et, comme le temps pressait, il avait enfilé son habit sans tarder. Dans l’intervalle, la princesse n’avait toujours pas fini de mettre la dernière touche à sa toilette, une opération qui s’éternisait chaque fois qu’ils sortaient.
    — Continue, lui dit-elle.
    Sa main indécise oscillait entre deux poudriers.
    — Königsegg t’a-t-il expliqué pourquoi il était monté au grenier ?
    L’une des poudres était marron clair, l’autre aussi. Tron se demanda s’il devait le lui faire remarquer.
    — C’est l’impératrice qui l’a envoyé, dit-il. Hier, au Florian , j’ai employé le terme de corps à corps . Ce mot, paraît-il, ne lui est plus sorti de l’esprit. Du reste, ajouta-t-il, le comte insiste pour que ce soit moi qui aie tué le régicide avant son arrivée.
    La main de Maria balançait toujours entre les deux poudriers.
    — Il veut te laisser le rôle du héros ?
    — Comme il me doit beaucoup, je suppose qu’il entend ainsi rembourser une partie de sa dette.
    Tron ferma les yeux pour échapper à la vue de la main indécise.
    — Je n’ai pas réussi à l’en dissuader. Il est reparti sur-le-champ.
    — Sait-il qu’il s’agit d’une farce qui a mal tourné parce qu’ils ont choisi le mauvais homme ?
    Le commissaire hocha la tête.
    — Oui, bien entendu. Il va d’ailleurs mettre l’impératrice au courant.
    — Que s’est-il passé ensuite ?
    La princesse prit – enfin ! – une des houppettes et s’en tapota le front pour y mettre la dernière touche. Une expression de satisfaction apparut sur son visage. Tron ne constatait aucune différence. Il esquissa un mince sourire.
    — Puis-je te le raconter en chemin, Maria ? Il est déjà sept heures et demie.
    La princesse l’observa comme à travers une couche de glace.
    — Tu vois bien que je n’ai pas terminé !
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