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Les hommes dans la prison

Les hommes dans la prison

Titel: Les hommes dans la prison
Autoren: Victor Serge
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brutes et de salauds qu’on appelle les hommes.
    Et, comme l’aveugle tout à l’heure, il ajouta :
    – Je les connais, moi. J’en suis !
    Van Hoever, coulant vers Thomas un regard oblique, chuchotait
à l’abbé Nicot :
    – Y veulent le partage des biens. Faudrait être sans
pitié pour eux. Ce ne serait pas assez que de les envoyer aux îles pour qu’y
puissent pas s’échapper… faudrait…
    – Vous avez raison, approuvait doucement l’abbé. Ils
attaquent l’ordre social.
    L’autre vieillard ne comprit rien à ces mots, mais leur
gravité lui plut parce qu’il y devina une condamnation mieux motivée.
    Laurent cria :
    – Non, mais à la fin vous êtes trop bêtes. Vous n’avez
donc rien appris, rien compris ? Vous parlez comme des journalistes, comme
la crème d’honnêtes gens que vous êtes. Idiots ! Tas d’idiots ! Non, mais !
Les avez-vous regardés, les autres, ceux qui nous jugent, ceux qui nous gardent,
et ceux qui font la noce à Paname ? Tous, tous, du premier au dernier ?
Les avez-vous regardés ? Dites ?
    Une réponse vint :
    – Ça, c’est vrai. Les juges, j’en ai connu un…
    – Non, mais regardez plutôt les gaffs…
    L’aveugle se leva, le rayon de soleil s’étant déplacé. Il en
désirait la chaleur et l’or. Il sentait que l’ombre venait de tomber sur lui. Son
visage pétrifié cherchait la lumière. On voyait aussi, à je ne sais quoi de
tendu en lui, que son esprit cherchait la vérité.
    – C’est le malheur qui est coupable.
    Le mineur répondit :
    – Le malheur n’est que le nom de la misère. Et la
misère est l’œuvre des riches.
    J’entendis van Hoever maugréer :
    – Partageux ! Vermine !…
    – Pas d’espoir, cracha Laurent avec un long jet de
salive qui alla engluer des fourmis.
    – Y a rien à faire, dit Madré. Y a rien de plus vieux
que les prisons.
    L’infirmier Thiébaut traversait en courant le fond du jardin.
Avant de disparaître, il nous jeta :
    – Chose, au-dessus, vous savez ? L’est claqué.
    – Pas d’espoir, répéta durement Laurent.
    Le mineur paraissait sourire mais ne souriait pas. Il y eut
d’abord comme une note de dureté dans sa parole :
    – Que les morts enterrent leurs morts !
    L’abbé Nicot tourna vivement la tête vers celui qui
employait les mots de l’Évangile.
    – Dis toujours, ça m’amuse ! fit Madré railleur.
    – Les hommes ont vécu dans les cavernes. Il n’y a pas
si longtemps qu’on brûlait les hérétiques. Tout passe. La prison passera aussi.
Les hommes restent, les hommes montent. Toute la vieille charpente craque. Peut-être
n’y a-t-il plus qu’à en mettre un bon coup pour que tout change. Ça vaut la
peine de vivre et même de se faire tuer. Quand il y aura du pain pour tous, on
ne volera plus. Quand la femme ne se vendra plus, quand la raison sera plus
claire, il y aura moins de vices et moins de meurtres. On détruira les prisons.
Les gens viendront voir les pierres qui en resteront et ne pourront plus s’imaginer
ce que nous voyons, ce que nous vivons. Ils ne concevront pas plus notre misère
que nous ne concevons leur grandeur. On fera la vie large et libre. On fera…
    Pensivement, son triste visage tourné vers la clarté fuyante,
l’aveugle répondit :
    – C’est loin. C’est peut-être encore si loin qu’on ne
sait pas. Mais ça fait du bien d’y penser. On est comme au soleil.
    – Ça peut commencer demain par la grève générale.
    Chemin-des-Dames, le soldat hébété, au crâne troué, se
dandinait au-dessus de notre groupe, fixant le mineur avec une sourde colère. Et
lui qui ne parlait jamais se mit à crier :
    – C’est pas vrai ! C’est pas vrai ! C’est pas
vrai ! J’les connais, tes boniments ! T’es un défaitiste. Y a la
guerre. Les types comme toi, on les colle au poteau ! Au poteau, que j’te
dis !

35. Les libérables.
    Cela finit. Nous partons trois demain. Ma chevelure de trois
mois me rend déjà plus d’individualité que le 6731 n’en devrait avoir. Latruffe
m’a tout à l’heure ouvert les portes du quartier cellulaire pour l’isolement du
dernier jour et de la dernière nuit. Dernière rencontre fortuite, à l’étage des
cellules noires : Bernard-Coupé et Rouillon-Bain-de-Boue, libérables un
jour après moi.
    – Es-tu content ? ai-je demandé à Bernard.
    – Oui. (Une pause.) Je n’en sais rien.
    Nous nous connaissons de longue date. C’est un libertaire. Sous
ses dehors
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