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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang
Autoren: Pierre Naudin
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Jeanne ou la jeune ?
    – La dame était âgée à ce qu’il m’a semblé.
    –  Semblé ? se courrouça Charles V.
    – Sire, la nuit tombait. J’ai aperçu Sacquenville et il m’a bien paru…
    Le pli rieur de la bouche royale disparut. Une expression paroxysmique nettoya le visage jusqu’alors bienveillant du roi : il montrait des dents grises et qui devaient branler.
    – Sacquenville est un traître.
    – Nous l’avons pris, s’empressa La Rivière.
    – Il sera décollé… écartelé. Il le mérite.
    Tristan se détourna pour voir si le cousin du félon, Yvain, se trouvait à proximité. Comme ses yeux rencontraient ceux du roi, plus fuyants d’ordinaire, une envie traversa son esprit : « Faut-il lui dire la vérité sur Arnaud de Cervole ? » Pourquoi non ?
    – À Vernon, sire, j’ai entrevu l’Archiprêtre.
    – Avec ces dames et le captal ?
    – Oui, sire.
    – Vous vous êtes mépris, Castelreng ! L’Archiprêtre ne pouvait être à Vernon… mais à Cocherel.
    – Il y était aussi, mais sa conduite fut… étrange : il a fui au commencement de la bataille.
    C’était une révélation énorme. Le roi soudain mis à quia branla du chef et de sa main saine assujettit sa couronne. Il sourit. Il avait ouï une chose impossible.
    – Non, dit-il. Non. Arnaud ne pouvait pas…
    – Sire, Guesclin vous confirmera mes dires.
    – Inutile d’attendre le Breton, dit l’Alemant. Sire, Castelreng dit vrai : l’Archiprêtre a failli à ses devoirs.
    – Il a fui, grogna La Rivière. Ses hommes l’ont suivi.
    Le roi cilla des paupières, comme ébloui par ces révélations. Il semblait tout à coup nerveux et las et retenait péniblement son courroux et son cheval. Il n’osait reconstituer la trahison de l’Archiprêtre. Se pouvait-il que cet homme, cet allié, eût fait montre d’un tel manquement aux usages ? Ne l’avait-il pas toujours considéré – de même que son père, Jean le Bon – comme un vassal d’une féauté aussi parfaite et active qu’inaltérable ? Il déglutit, avala sa déception puis exerça son intérêt sur un autre personnage :
    – Jean de Grailly, qu’en savez-vous ?
    – Il est navré, dit La Rivière.
    – Assez durement, crut bon de préciser l’Alemant.
    – Va-t-il trépasser ?
    – Non, dit Tristan. Moult sang versé, sire, pour peu de navrures.
    Le roi parut consterné. Cependant, son regard s’éclaira. Une sorte de rage rendit sa bouche plus ferme et son menton plus solide. Sa senestre se crispa sur les rênes lâches, et Tristan qui connaissait les mains dissemblables du prince – la saine tenant les guides, la malade invisible parce que le bras dextre pendait de l’autre côté du cheval -, Tristan se demanda si cet homme aurait suffisamment de vigueur pour tenir le globe et le sceptre lors d’une cérémonie longue et fastidieuse.
    – Je sévirai !… Je les ferai décoller !… Ah ! On apprendra qui je suis !
    En un clin d’œil, le portrait pâle, onctueux et comme inachevé de « monseigneur Charles » atteignit à la majesté. Son regard s’illumina, sa mâchoire se durcit, portant son menton en avant comme s’il lançait un défi aux murailles paisibles de Reims et à toute la gent rassemblée en icelles. À la fausse bénignité de ce valétudinaire se substitua de la froideur, transparent substitut de la méchanceté. Tristan observa La Rivière et l’Alemant qui, comme lui, assistaient ébahis à la métamorphose. Leur respect de toujours se chargeait d’inquiétude : ils auraient désormais affaire à un roi aussi farouchement ferme d’esprit qu’il était faible de corps et décidé coûte que coûte à ce qu’on le craignît afin qu’on oubliât sa chétiveté. Or, quelque effort qu’il entreprît pour se valoriser, ses défauts ne pourraient se muer en vertus. Son verbiage serait d’autant plus fort que son courage resterait inconsistant ; la présomption des mots et des formules ne parviendrait jamais à suppléer la mollesse éloquente des gestes.
    « Que savais-je de lui ? Qu’en sais-je encore, moi, Castelreng ? »
    La représentation qu’il s’en était faite avait procédé de ses propres dispositions. Il avait coloré, modelé cet homme exsangue et inconsistant. Il s’était dit parfois qu’il était intelligent alors qu’il n’était que matois. Il aurait désormais affaire à un monarque assoiffé de pouvoir, soumis aux exigences d’un orgueil enfin débridé.
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