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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang
Autoren: Pierre Naudin
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Castelreng ?
    Ce pouvait être un piège habilement tendu. Tristan eut un sourire qui pouvait passer pour dubitatif.
    –  Que vous répondre, messire ? Je ne hante ni les alcôves ni les crèches princières. Les royales amours ne sauraient m’exciter.
    « Menteur ! » se reprocha-t-il tandis que l’image de Jeanne de Naples flottait dans sa mémoire.
    Il exhala un soupir tout en renonçant à savoir s’il exprimait ainsi du regret ou simplement un reste d’amertume.
    *
    En hurlant maintes fois : «  Place ! Place ! » il fallut remonter la longue suite des invités du roi et de leurs serviteurs. Il fallut contourner, parce qu’ils empiétaient sur leurs voisins, des bérots et des chariots rehaussés de soieries et velours somptueux. Tous étaient précédés de leur conduiseur en livrée aux couleurs des parures et suivis d’un ou deux côtiers 10 assistés de quelques valets d’écurie. Il y avait aussi, dans cette cohue royale, bourgeoise et plébéienne, des litières attelées à des mules houssées comme des princesses ou soutenues par des roncins aux harnois et lormeries superbes. Aux petites fenêtres décloses, des visages féminins se penchaient, souriants ou ébahis. Sauf la valetaille et les soudoyers affectés à la sécurité, ainsi que les sergents qui les commandaient, les uns et les autres répartis sur les flancs de cette procession confuse, tous les hommes 11 étaient en selle : chevaliers falourdeurs 12 , barons pensifs, de grande ou moyenne importance, hérauts et leurs tabellions manifestement moins à l’aise en cette presse que sur l’herbe des champs clos. Çà et là, leur écu d’azur semé de lis dans le dos, quelques cranequiniers 13 fervêtus annonçaient la proximité du roi et de ses frères. Il y avait même, dans leur sillage, six damoiselles assises sur des juments sambuées d’or ou d’argent – des genettes pour la plupart 14 .
    – Place ! Place ! exigeait l’Alemant tout en frayant son chemin. Venez, Castelreng !… Vous méritez de chevaucher à ma dextre.
    « Où ces gens vont-ils s’épartir 15  ? Reims n’est point immense… Où vont-ils loger ? S’ablutionner ?… Et moi ? J’ai besoin de repos, de sommeil, et mon cheval aussi ! »
    Emmaladi d’épuisement, Tristan laissait son coursier piéter à son idée tout en évitant les obstacles. Décidé tout à coup à rejoindre La Rivière, l’Alemant eût souhaité galoper, mais il ne le pouvait : plus il s’approchait du monarque invisible, plus chaque homme curial 16 composant l’entourage de celui-ci s’employait à lui gêner le passage.
    – Sire ! Sire ! hurla Thibaut de La Rivière qui venait de tirer l’épée pour qu’un chevalier s’écartât. Sire !… J’accours par mandement de Bertrand Guesclin… Messeigneurs à l’entour, laissez-moi atteindre le roi !
    Le cortège cessa d’avancer. Des cris et des murmures s’élevèrent : le nom du Breton produisait un effet dont Tristan douta qu’il fût empreint de bienveillance. Poussant hardiment son roncin, l’Alemant ouvrit une brèche dans la haie des prud’hommes, sans souci des protestations feutrées qu’il provoquait.
    – Venez, Castelreng, dit-il en brandissant une lame brunie des sangs de Cocherel. Je vais outrepercer tous ceux qui nous encombreront !
    –  Une victoire, sire ! vociféra La Rivière d’une voix tout à la fois rauque et pointue… Nous avons déconfit l’armée des Navarrais.
    Cette fois, les mécontents s’écartèrent. Quelques chevaux inutilement abrochés regimbèrent, hennirent et s’apaisèrent cependant que leurs cavaliers grondaient. Une victoire ? Était-ce possible ? Ils s’interrogeaient du regard tant ils avaient perdu l’habitude de vaincre. Une victoire ! Et elle s’était faite sans eux  ! À la lisière des chaperons poudreux, des yeux caves enfouis sous des sourcils froncés se ternirent et des bouches se pincèrent : sans eux !
    –  Une nette victoire, enchérit l’Alemant que Tristan côtoyait enfin. Cocherel !… Ah ! Sire, nous avons moult regretté que vous ne fussiez présent parmi nous.
    L’invincible monotonie dans laquelle semblait engoncé le nouveau roi craqua d’un coup tel le tissu élimé d’une bannière lors d’une tempête.
    – Ah ! Messires, chevrota-t-il, je vous guerdonnerai 17 pour cette bonne nouvelle. Si petit que soit ce Cocherel, je m’en souviendrai toute mon existence.
    Jamais Tristan n’avait vu
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