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Les Filles De Caleb

Titel: Les Filles De Caleb
Autoren: Arlette Cousture
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pour se laver si on veut pas empester la vache à l’école. Presque tout le temps les gars ont marché la moitié du chemin quand nous autres on sort en courant pour pas être en retard. Des fois on court dehors avec encore une tranche de pain dans les mains.»
    Plus elle parlait, plus elle s’emportait. Elle avait conscience que sa voix s’aiguisait. Caleb avait cessé de tapoter la table. Il regardait maintenant sa fille d’un œil injecté de colère. Émilie décida de ne pas se laisser impressionner.
    «Ce que je veux dire...
    —        Parce que c’est pas ça que tu voulais dire !» Elle figea pendant quelques secondes puis enchaîna.
    «Ce que je veux dire, c’est que je trouve que vous nous en demandez plus. Vous regardez même pas si des fois on en aurait pas trop à faire. On passe nos samedis à faire du nettoyage pis du lavage, pis nos soirs de semaine à aider moman avec l’ordinaire pendant que vous autres vous jouez aux dames ou aux cartes. Des fois je suis tellement fatiguée, que j’ai de la misère à faire mes devoirs pis mes leçons. Mes notes à l’école sont pas aussi bonnes que je voudrais...
    —        Haa a!....c’est ça que tu voulais dire depuis le commencement ? »
    Émilie sut qu’elle avait prononcé un mot de trop. Du regard, elle implora sa mère d’intervenir. Pour toute réponse, Célina se contenta de moucher son avant-dernier qui, depuis le début de l’hiver, traînait un interminable rhume. Émilie se sentit terriblement seule. Elle adoucit le ton.
    «Ce que je voulais dire, pâpâ, c’est que je trouve qu’il y a quelque chose de pas juste là-dedans.»
    Elle venait de toucher lu corde sensible. Elle savait que son père se considérait comme un homme juste. Qu’il faisait comme tous les hommes. Qu’il élevait sa famille comme son père à lui avait élevé la sienne. Et voilà qu’elle venait de lui dire qu’il était injuste.
    «Il y a deux places chez nous, ma fille. Celle des hommes pis celle des femmes. Les hommes travaillent à la sueur de leur front pour gagner le pain quotidien pis béni. La place des femmes, c’est de voir à ce que les hommes aient tout ce qui leur faut. Tu as rien que treize ans pis c’est pas une effrontée de ton âge qui va me dire comment mener mes affaires. »
    Sur ces mots, sa colère longuement contenue éclata. Il se leva. Emilie cessa de se balancer. Avant même qu’elle n’ait eu le temps de comprendre ce qui se passait, elle se retrouva à mi-chemin de l’escalier, soutenue par son père, les pieds ballants au-dessus des marches. Elle entendit Caleb vociférer mais son cerveau n’enregistra aucun mot. À son tour, elle se mit à crier.
    «Lâchez-moi...je suis capable de monter toute seule.»
    Voyant que son père ne réagissait pas, elle enchaîna, la voix éteinte par la rage et les larmes.
    «Moi, je veux manger en même temps que vous autres pis moi je veux aller à l’école la tête reposée.
    —        Si tu es fatiguée, ma fille, tu as rien qu’à arrêter d’aller à l’école. Ta mère aurait ben besoin de toi. Pis à part de ça, pour une fille, tu es assez savante.»
    Menace suprême ! Il venait de proférer l’ultime menace ! Emilie refoula ses larmes. Il lui fallait absolument cacher qu’il avait réussi à la blesser.
    «Personne est assez savant», s’entendit-elle répliquer.
    Caleb ouvrit la porte de la chambre des filles et poussa Emilie vers un des lits. Elle n’offrit aucune résistance.
    «Tu vas te passer de manger à soir. Tu diras un acte de contrition après avoir jonglé au quatrième commandement de Dieu.
    —        Il devrait y en avoir un pareil pour les enfants,» chuchota-t-elle, mais Caleb l’entendit.
    «Ben ça c’est le comble ! Tu veux tout changer dans la maison. Tu me dis comment élever ma famille ! Pis astheure , tu dis au Créateur qu’il sait pas comment écrire ses commandements ! Un vrai blasphème ! Tu iras te confesser. Je veux pas voir un de mes enfants faire un sacrilège !»
    Ulcéré, il tourna les talons et ferma la porte en sortant de la chambre. Puis il rouvrit, le temps de dire à sa fillede descendre nettoyer après le souper. Emilie en fut insultée.
    «Non! Pas de souper, pas de ménage.»
    Caleb referma si violemment qu’un des gonds céda. Il poussa la porte branlante et revint vers sa fille la main levée et la gifla du revers. Émilie encaissa le coup sans broncher, regarda son père bien en face puis,
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