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Les Filles De Caleb

Titel: Les Filles De Caleb
Autoren: Arlette Cousture
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calmement, tendit l’autre joue. Caleb ne la gifla pas une seconde fois. Jamais il n’avait frappé un enfant. Il fut secoué par un spasme et n’essaya même pas de comprendre s’il s’agissait d’un sanglot ou d’une nausée. Il sortit de la pièce. Émilie lui avait tourné le dos et s’était dirigée vers la fenêtre givrée.
     
     
    Caleb redescendit l’escalier beaucoup plus lourdement qu’il ne l’avait monté. Célina le regardait, prête à toute éventualité. Jamais elle n’avait eu connaissance que son mari s’emportât de telle façon. Par le grillage du plancher, elle et ses enfants n’avaient pas perdu un mot de l’esclandre entre le père et la fille et personne n’avait osé s’asseoir.
    Caleb regarda tout ce petit monde inquiet et, une ride de chagrin au front, fit signe à ses fils de s’attabler. Célina et les filles s’empressèrent de leur tendre les plats. Tout était froid. Caleb commença à manger, grimaça, mais s’abstint de critiquer. Les filles s’affairaient plus qu’à l’accoutumée, craignant qu’une légère erreur ne provoquât une nouvelle saute d’humeur.
    Dès que Caleb eut avalé ce qu’il décida être sa dernière bouchée — habituellement, il vidait son assiette et effaçait toute trace de repas avec une tranche de pain — il se leva et se dirigea vers sa berceuse. Ses fils l’imitèrent. Il observa ses filles pendant qu’elles débarrassaient la table des assiettes souillées et que, timidement, elle s’assoyaient avec leur mère pour manger ce que les hommes avaient bien voulu leur laisser. Ce soir, il y avait de plus grandes quantités dans les plats. Le repas étant froid, les hommes avaient peu mangé. Caleb regardait toujours ses filles, étonné de voir que, contrairement à ses fils, elles se servaient de généreuses portions, apparemment insouciantes du fait que la nourriture fût presque immangeable, du moins à ce qu’il lui avait semblé. Elles commencèrent à parler de toutes leurs insignifiances, d’abord en chuchotant, puis osèrent quelques éclats de rire. Caleb eut le sentiment aigu qu’il venait de perdre une brindille de son autorité. Sans dire un mot, il sortit de la cuisine, enfila son capot de fourrure, laça ses mitons et remit ses caoutchoucs. Il n’avait qu’une envie : prendre l’air. Dès qu’il eut refermé la porte, un immense sentiment de soulagement envahit la cuisine. Seule Célina ne se détendit pas. Elle retenait encore les larmes qui lui brûlaient les paupières. Elle prit son avant-dernier par le chignon, le dévêtit et sans lui demander son avis, décida qu’il prendrait un bain même si on n’était pas le samedi. L’enfant se débattit mais quand il la vit verser l’eau chaude dans la cuve, il comprit que toute contestation serait vaine.
    «Vous autres, les filles, faites la vaisselle avant qu’on vous le demande. Les garçons, vos devoirs. En silence. Je veux pas en entendre un seul crier. Je veux pas entendre un mot. Pas un ! C’est clair ?»
    Les enfants s’émurent. Il n’était pas dans les habitudes de leur mère de lever le ton. Quelle soirée ! Aussi, dès que les filles eurent passé le torchon sur la table de bois, les garçons ouvrirent leurs livres sans regimber. Célina frotta les oreilles de son enfant avec un peu trop d’énergie. Il commença à chialer. Elle lui donna une taloche derrière la tête. Prenant conscience de son geste, elle éclata en sanglots. L’enfant, saisi, ne versa pas une larme. Les aînés levèrent les yeux mais s’abstinrent de commentaires. Bouleversés de voir leur mère pleurer et conscients de leur maladresse à la consoler, ils ne bronchèrent pas. Célina s’assécha les yeux avec un coin de son tablier et pour rassurer ses enfants, leur dit sans trop de conviction qu’elle s’était mis du savon dans l’œil. Personne ne fut dupe.
     
     
    Pour la première fois de sa vie, Emilie avait connu la peur. La peur d’elle-même, la peur de son père et surtout la peur d’être contrainte de quitter l’école. Cesser d’apprendre. L’horrible perspective de regarder partir ses frères et sœurs sans elle.
    Dès que son père eut fermé la porte de sa chambre, elle s’était plantée devant la fenêtre, refusant de s’étendre sur le lit. Depuis longtemps, elle avait compris que les larmes coulent beaucoup plus facilement lorsqu’on est allongé. Elle était restée debout devant la fenêtre et avait vu son père sortir de la
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