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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II
Autoren: Michel de Montaigne
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dessein de tuer Cesar : quoy qu'il s'enyvrast
souvent : D'où il respondit plaisamment, Que je portasse un
tyran, moy, qui ne puis porter le vin ! Nous voyons nos
Allemans noyez dans le vin, se souvenir de leur quartier, du mot,
et de leur rang.
    nec facilis victoria de madidis,
et
Blæsis, atque mero titubantibus
.
    Je n'eusse pas creu d'yvresse si profonde, estoufée, et
ensevelie, si je n'eusse leu cecy dans les histoires :
Qu'Attalus ayant convié à souper pour luy faire une notable
indignité, ce Pausanias, qui sur ce mesme subject, tua depuis
Phlippus Roy de Macedoine (Roy portant par ces belles qualitez
tesmoignage de la nourriture, qu'il avoit prinse en la maison et
compagnie d'Epaminondas) il le fit tant boire, qu'il peust
abandonner sa beauté, insensiblement, comme le corps d'une putain
buissonniere, aux muletiers et nombre d'abjects serviteurs de sa
maison.
    Et ce que m'aprint une dame que j'honnore et prise fort, que
pres de Bordeaux, vers Castres, où est sa maison, une femme de
village, veufve, de chaste reputation, sentant des premiers
ombrages de grossesse, disoit à ses voisines, qu'elle penseroit
estre enceinte si ell'avoit un mary : Mais du jour à la
journee, croissant l'occasion de ce soupçon, et en fin jusques à
l'evidence, ell'en vint là, de faire declarer au prosne de son
Eglise, que qui seroit consent de ce faict, en l'advoüant, elle
promettoit de le luy pardonner, et s'il le trouvoit bon, de
l'espouser. Un sien jeune valet de labourage, enhardy de ceste
proclamation, declara l'avoir trouvée un jour de feste, ayant bien
largement prins son vin, endormie en son foyer si profondement et
si indecemment, qu'il s'en peut servir sans l'esveiller. Ils vivent
encore mariez ensemble.
    Il est certain que l'antiquité n'a pas fort descrié ce
vice : les escris mesmes de plusieurs Philosophes en parlent
bien mollement : et jusques aux Stoïciens il y en a qui
conseillent de se dispenser quelquefois à boire d'autant, et de
s'enyvrer pour relascher l'ame.
    Hoc quoque virtutum quondam
certamine magnum
Socratem palmam promeruisse ferunt
.
    Ce censeur et correcteur des autres Caton, a esté reproché de
bien boire.
    Narratur et prisci Catonis
Sæpe mero caluisse virtus
.
    Cyrus Roy tant renommé, allegue entre ses autres loüanges, pour
se preferer à son frere Artaxerxes, qu'il sçavoit beaucoup mieux
boire que luy. Et és nations les mieux reiglées, et policées, cet
essay de boire d'autant, estoit fort en usage. J'ay ouy dire à
Silvius excellent medecin de Paris, que pour garder que les forces
de nostre estomac ne s'apparessent, il est bon une fois le mois,
les esveiller par cet excez, et les picquer pour les garder de
s'engourdir.
    Et escrit-on que les Perses apres le vin consultoient de leurs
principaux affaires.
    Mon goust et ma complexion est plus ennemie de ce vice, que mon
discours : Car outre ce que je captive aysément mes creances
soubs l'authorité des opinions anciennes, je le trouve bien un vice
lasche et stupide, mais moins malicieux et dommageable que les
autres, qui choquent quasi tous de plus droit fil la societé
publique. Et si nous ne nous pouvons donner du plaisir, qu'il ne
nous couste quelque chose, comme ils tiennent, je trouve que ce
vice couste moins à nostre conscience que les autres : outre
ce qu'il n'est point de difficile apprest, ny malaisé à
trouver : consideration non mesprisable.
    Un homme avancé en dignité et en aage, entre trois principales
commoditez, qu'il me disoit luy rester, en la vie, comptoit
ceste-cy, et où les veut on trouver plus justement qu'entre les
naturelles ? Mais il la prenoit mal. La delicatesse y est à
fuyr, et le soigneux triage du vin. Si vous fondez vostre volupté à
le boire friand, vous vous obligez à la douleur de le boire autre.
Il faut avoir le goust plus lasche et plus libre. Pour estre bon
beuveur, il ne faut le palais si tendre. Les Allemans boivent quasi
esgalement de tout vin avec plaisir : Leur fin c'est
l'avaller, plus que le gouster. Ils en ont bien meilleur marché.
Leur volupté est bien plus plantureuse et plus en main.
Secondement, boire à la Françoise à deux repas, et moderéement,
c'est trop restreindre les faveurs de ce Dieu. Il y faut plus de
temps et de constance. Les anciens franchissoyent des nuicts
entieres à cet exercice, et y attachoyent souvent les jours. Et si
faut dresser son ordinaire plus large et plus ferme. J'ay veu un
grand seigneur de mon temps, personnage de hautes entreprinses,
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