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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II
Autoren: Michel de Montaigne
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et
fameux succez, qui sans effort, et au train de ses repas communs,
ne beuvoit guere moins de cinq lots de vin : et ne se montroit
au partir delà, que trop sage et advisé aux despens de noz
affaires. Le plaisir, duquel nous voulons tenir compte au cours de
nostre vie, doit en employer plus d'espace. Il faudroit, comme des
garçons de boutique, et gents de travail, ne refuser nulle occasion
de boire, et avoir ce desir tousjours en teste. Il semble que touts
les jours nous racourcissons l'usage de cestuy-cy : et qu'en
noz maisons, comme j'ay veu en mon enfance, les desjuners, les
ressiners, et les collations fussent plus frequentes et ordinaires,
qu'à present. Seroit ce qu'en quelque chose nous allassions vers
l'amendement ? Vrayement non. Mais ce peut estre que nous nous
sommes beaucoup plus jettez à la paillardise, que noz peres. Ce
sont deux occupations, qui s'entrempeschent en leur vigueur. Elle a
affoibli nostre estomach d'une part : et d'autre part la
sobrieté sert à nous rendre plus coints, plus damerets pour
l'exercice de l'amour.
    C'est merveille des comptes que j'ay ouy faire à mon pere de la
chasteté de son siecle. C'estoit à luy d'en dire, estant tres
advenant et par art et par nature à l'usage des dames. Il parloit
peu et bien, et si mesloit son langage de quelque ornement des
livres vulgaires, sur tout Espaignols : et entre les
Espaignols, luy estoit ordinaire celuy qu'ils nomment Marc Aurele.
Le port, il l'avoit d'une gravité douce, humble, et tres modeste.
Singulier soing de l'honnesteté et decence de sa personne, et de
ses habits, soit à pied, soit à cheval. Monstrueuse foy en ses
paroles : et une conscience et religion en general, penchant
plustost vers la superstition que vers l'autre bout. Pour un homme
de petite taille, plein de vigueur, et d'une stature droitte et
bien proportionnée, d'un visage aggreable, tirant sur le
brun : adroit et exquis en touts nobles exercices. J'ay veu
encore des cannes farcies de plomb, desquelles on dit qu'il
s'exerçoit les bras pour se preparer à ruer la barre, ou la pierre,
ou à l'escrime : Et des souliers aux semelles plombées, pour
s'alleger au courir et à sauter. Du prim-saut il a laissé en
memoire des petits miracles. Je l'ay veu pardelà soixante ans se
moquer de noz alaigresses : se jetter avec sa robbe fourrée
sur un cheval ; faire le tour de la table sur son pouce, ne
monter guere en sa chambre, sans s'eslancer trois ou quatre degrez
à la fois. Sur mon propos il disoit, qu'en toute une province à
peine y avoit il une femme de qualité, qui fust mal nommée.
Recitoit des estranges privautez, nommément siennes, avec des
honnestes femmes, sans soupçon quelconque. Et de soy, juroit
sainctement estre venu vierge à son mariage, et si c'estoit apres
avoir eu longue part aux guerres delà les monts : desquelles
il nous a laissé un papier journal de sa main suyvant poinct par
poinct ce qui s'y passa, et pour le publiq et pour son privé.
    Aussi se maria il bien avant en aage l'an MDXXVIII, qui estoit
son trentetroisiesme, sur le chemin de son retour d'Italie.
Revenons à noz bouteilles.
    Les incommoditez de la vieillesse, qui ont besoing de quelque
appuy et refreschissement, pourroyent m'engendrer avecq raison
desir de ceste faculté : car c'est quasi le dernier plaisir
que le cours des ans nous desrobe. La chaleur naturelle, disent les
bons compaignons, se prent premierement aux pieds : celle la
touche l'enfance. De-là elle monte à la moyenne region, où elle se
plante long temps, et y produit, selon moy, les seuls vrais
plaisirs de la vie corporelle : Les autres voluptez dorment au
prix. Sur la fin, à la mode d'une vapeur qui va montant et
s'exhalant, ell'arrive au gosier, où elle fait sa derniere
pose.
    Je ne puis pourtant entendre comment on vienne à allonger le
plaisir de boire outre la soif, et se forger en l'imagination un
appetit artificiel, et contre nature. Mon estomach n'iroit pas
jusques là : il est assez empesché à venir à bout de ce qu'il
prend pour son besoing : Ma constitution est, ne faire cas du
boire que pour la suitte du manger : et boy à ceste cause le
dernier coup tousjours le plus grand. Et par ce qu'en la
vieillesse, nous apportons le palais encrassé de reume, ou alteré
par quelque autre mauvaise constitution, le vin nous semble
meilleur, à mesme que nous avons ouvert et lavé noz pores. Aumoins
il ne m'advient guere, que pour la premiere fois j'en prenne bien
le goust. Anacharsis
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