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Les Décombres

Les Décombres

Titel: Les Décombres
Autoren: Lucien Rebatet
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mécanisés, dressés à l’obéissance par l’usine, le bureau, le métro, le tramway, le train de banlieue, les restaurants à prix fixe. Le Six Février, phénomène spontané de la rue qui est probablement unique en Europe depuis le début de ce siècle des machines, les manifestants, à sept heures et demie, rompaient leurs rangs pour aller dîner. La journée cessa avec le dernier métro.
    À cause du Six Février, on accordera aux Parisiens l’avantage d’avoir conservé des nerfs plus tendus. Mais ils ont largement donné la mesure de leur docilité. Leur goût d’indépendance est assez illusoire. S’ils se défilent si souvent, c’est que depuis fort longtemps l’autorité au-dessus d’eux est relâchée. Sitôt que dans l’ordre privé cette autorité existe, ils s’y plient le plus aisément du monde. J’ai passé deux années de ma vie parmi les prolétaires parisiens. J’ai vu avec quelle régularité ils pointent leurs noms aux machines, avec quelle résignation ils se laissent courber dans des chiourmes rigides et malsaines, dès que leur salaire en dépend.
    Ce que l’on a obtenu d’eux depuis deux années est invraisemblable. L’épicier, le crémier, le boucher, les bureaucrates de toutes espèces sont autant d’arrogants petits tyrans devant lesquels on s’aligne, on attend avec une patience sans limites.
    Ce serait naturellement une plaisanterie que d’attacher politiquement la moindre importance à l’opinion de ces pauvres gens, de faire appel à leur logique et leur mémoire qui n’existent pas. Il n’est de politique possible que contre leur sottise, qui n’est même pas la voix de leur sang. On leur refera une opinion française quand on le voudra, avec du pain, du travail et une roide justice. Tous attendent obscurément des ordres, une main virile qui s’empare d’eux.
    Ce peuple, comme la plupart des peuples, est abîmé et pitoyable parce qu’il est sans guides. Il sera à ceux qui décideront de le conduire. Il vaudra ce qu’ils vaudront. Il leur apportera la qualité essentielle que puisse désirer un politique : il est laborieux, pour autant qu’on ne flatte point chez lui les penchants universels de la paresse humaine, et il est ingénieux dans son travail.
    La France est en danger de mort, bien plus aujourd’hui encore qu’il y a deux ans sur la Meuse. Sur la Meuse, elle pouvait ne perdre qu’une bataille. Elle peut perdre aujourd’hui sa souveraineté nationale.
    Tout ce qu’elle a vécu depuis juin Quarante est malheureusement, comme le disait le Maurras des grandes vérités, dans la nature des choses. Un pays qui était descendu jusqu’à une telle défaite, ne pouvait retrouver en lui-même que par un miracle la force de se ressaisir du jour au lendemain. On a feint de croire à ce miracle. Il ne s’est pas produit. On a vu reparaître à notre barre les personnages fatidiques, qui ne pouvaient manquer de surgir, puisque personne n’était préparé ou résolu à les devancer, puisque la révolution s’achevait avant même d’avoir commencé, faute de révolutionnaires. Des hommes appartenant à l’ancien désordre ne pouvaient que le continuer.
    La France, à l’armistice, est tombée dans un trou profond. Elle ne s’y est pas cassé les reins, ce qui est assez remarquable. Mais il lui est à peu près impossible d’en sortir seule. On lui a tendu une échelle, et cette échelle est la paix européenne. Encore lui faut-il, pour l’empoigner et la gravir, un rude effort, et pour cela l’aiguillon d’une vraie révolution, événement plus mythique que jamais.
    Devant l’immense chantier ouvert par la destruction du vieux capitalisme, nous allons bien être obligés cependant d’édifier quelque chose. Je voudrais que la France y apportât sa contribution qui serait décisive. Je n’en vois capable qu’une France fasciste. Toute autre France sera un pays déchu.
    Parmi les méfaits de Vichy, l’un des plus graves a été de vider de toute leur substance les meilleures formules. Celle de la Révolution Nationale, qui était magnifique, a sans doute vécu. Vichy, me semble-t-il, lui a attaché un trop grand ridicule pour qu’elle puisse servir encore. On a essayé tous les assemblages possibles des majuscules de « Parti », de « France », de « Socialisme », de « Révolution ». C’est encore l’esprit de clocher et de boutique et pour finir la confusion. Le monarchisme, l’ultra-montanisme, le radicalisme, le
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