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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches
Autoren: Christian Bernadac
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kommandos : en quelques minutes, trente morts… au hasard. Et l’interminable colonne se mit en marche. La « chair à canon » était composée d’une majorité d’Espagnols, avec quelques Tchèques, Yougoslaves et Polonais. Derrière les « centaines » de Juifs. Les kapos nous disaient à l’oreille :
    – « Aujourd’hui, grosse offensive. Beaucoup de Juifs. Ne pas vous mélanger avec. Juden alles Kaput ! »
    – Effectivement, l’offensive était d’envergure. A l’extérieur de l’enceinte, au-delà du portail, des S. S. très jeunes : entre dix-sept et vingt ans. Et des chiens-loups. Pour la première fois les chiens allaient entrer en action. Un vent de panique traversa toutes les « centaines ». Même la compagnie disciplinaire n’allait pas être épargnée. Au moment où nous franchissions la porte, les S. S. ont laissé un grand espace entre les « centaines » de Juifs et les nôtres. La « danse » allait commencer tout de suite. Les chiens aboyaient. Les S. S. criaient. Les hurlements des hommes étaient plus effrayants que ceux des bêtes. Les kapos nous poussaient pour accélérer l’allure. Il fallait à tout prix augmenter la distance qui nous séparait des Juifs. Le « Tzigane » criait : « Auf passen – tempo – tempo – Schnell – Rapido ! » L’orage allait éclater. Derrière nous, d’autres « schnell », les aboiements des chiens et la musique des S. S. et des kapos qui jouait crescendo. Le bruit des claquettes de bois sur la glace s’amplifiait. C’était comme si un troupeau de chevaux emballés s’approchait. Nous dégringolions les marches de l’escalier avec une agilité incroyable. Nous devions nous trouver à mi-descente alors que les Juifs atteignaient la première marche. Les kapos de notre groupe se sont déchaînés. Eux aussi avaient la peur au ventre, car les S. S., une fois entrés dans la danse, ne pouvaient plus choisir leurs victimes. Le sang les aveuglait ; pas plus de kapo que d’Espagnol ou de Juif. Il fallait tuer. Tuer !
    – Au pied de l’escalier, une dizaine de S. S. et cinq ou six kapos de la carrière attendaient le passage des Juifs. Ils se sont fait la main sur nous : volée de coups de matraque. Histoire de s’échauffer. Un de nos kapos, malgré une pirouette, ne put esquiver une retombée de « gummi ». Dans cette cacophonie folle, nous avons compris qu’il fallait aller ramasser des pierres de l’autre côté du ruisseau qui traversait la carrière. Quelques Espagnols qui travaillaient là nous ont dit :
    – « Faites attention, camarades. Il y aura aujourd’hui beaucoup de morts. Beaucoup ! Il y a trop de Juifs dans le camp pour les S. S. »
    – Nous avons ramassé nos pierres en courant, sans avoir trop le temps de choisir et, poussés par les kapos, nous nous sommes rassemblés face à l’escalier. On sentait la mort… Sous nos yeux, le massacre était général. Plus de trente S. S., avec toutes sortes d’outils, s’acharnaient sur les Juifs. Ils frappaient comme des fous. L’un d’eux ramassa une énorme pierre et l’écrasa sur la tête d’un homme. C’était incroyable. Nous étions blêmes, tremblants, atterrés. Les S. S. ont obligé les Juifs à prendre de gigantesques blocs de pierre. Des hommes épouvantés couraient dans tous les sens avec des visages ensanglantés.
    – Dans notre groupe, les kapos et leurs seconds étaient livides. Le seul qui semblait avoir gardé encore un peu de sang-froid, un grand sec, nous fit comprendre qu’aveuglés par la haine, les « tueurs » n’iraient pas regarder si nous étions Juifs ou non, et que notre salut dépendait de notre capacité à grimper les marches le plus rapidement possible. Sur l’esplanade de la carrière, le massacre se poursuivait. Nous montâmes l’escalier avant les Juifs et nous buttions sur les cadavres aux crânes fracassés ou aux gorges déchirées par les crocs des chiens. L’escalier était recouvert de neige rouge. Vers le milieu de l’escalier, un groupe important de S. S. était à l’affût. Adossés au rocher, un pistolet à la main droite, un manche de pioche à la gauche. Ils ont attendu que la compagnie disciplinaire atteigne la marche supérieure avant de se jeter sur nous. Les hommes épouvantés abandonnaient leur pierre qui roulait vers le bas, écrasant pieds et tibias. Certaines ayant pris de la vitesse, rebondissaient, semant la mort. Des hommes redescendaient, se plaquaient
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