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Les 186 marches

Titel: Les 186 marches
Autoren: Christian Bernadac
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PROLOGUE
    –  D ES nouveaux ?
    – Pas pour aujourd’hui.
    – Demain ?
    – Sûrement. Dans la matinée.
    – Un gros arrivage ?
    – Je ne sais pas ! Mais le convoi annoncé comporte une longue liste de Juifs.
    Luis Garcia baisse la tête :
    – Fini le calme !
    II se retourne vers le grand escalier aux larges marches de granit.
    – Ils ne descendront qu’après-demain.
    Il choisit une pierre, la soupèse :
    – Trop lourde !
    Celle qu’il ramasse semble plus volumineuse, mais c’est – comme l’on dit au fond de la carrière de Mauthausen – un parfait « trompe-l’œil », une pierre « molle ». Ainsi donc, après quatre jours de « détente », « la folie » allait recommencer :
    – Pourvu qu’il n’y ait pas trop de Juifs !
    Et puis, à quoi bon ! Même s’ils ne sont qu’une poignée, les « marchands de bestiaux » compléteront la « centaine », à la formation des kommandos, par des condamnés.
    – Ce  groupe de travail, ou mieux d’extermination, était connu sous l’appellation officielle de « Baukommando n°II ». Le travail consistait surtout à remonter les pierres de la carrière nécessaires à la construction et, plus tard, à l’agrandissement du camp. Trois groupes distincts de déportés composaient la colonne du « Baukommando II ». En tête, trois « centaines » de punis de la Strafkompanie (compagnie disciplinaire). Son oberkapo s’appelait Paul Mayer. Au centre, les « disponibles » – la « chair à canon » – de différentes nationalités mais surtout, pendant cette période 1941-1942, des républicains espagnols. Les « disponibles » formaient six bonnes « centaines ». Derrière, sept ou huit « centaines » de Juifs bons à exterminer. Les membres du groupe de tête ne pouvaient être confondus avec les autres. Chacun portait dans le dos un « träger », support de bois maintenu par des lanières de cuir, un peu à la manière des sacs tyroliens, sur lequel étaient empilées les pierres taillées. Le groupe central – la « chair à canon » – et les Juifs de la fin de colonne étaient privés de « träger » ; en principe : seuls les Juifs devaient être exterminés, mais l’usage voulait que l’on confonde les groupes II et III au cours des « offensives ».
    – Entre le porche du camp et les premières marches de la carrière, une pente assez raide. Ce trajet, en hiver, était épouvantable car le sol gelé ressemblait à une patinoire de compétition et les semelles de bois des soques, sur la glace, à des lames de patin. Les glissades nombreuses étaient dramatiques car, dans la confusion générale, certains perdaient l’équilibre et plongeaient vers la gauche, c’est-à-dire vers le précipice et le gouffre de la carrière les avalait après une chute verticale de cinquante à soixante mètres ; quant à ceux qui « partaient » en dérapage vers la droite, ils franchissaient la « zone interdite » et les miradors ouvraient le feu sur ces « fuyards ».
    – Pendant deux mois et six jours, j’ai réalisé des acrobaties pour ne pas tomber dans ces deux traquenards. J’ai eu de la chance parce que j’étais jeune. Ensuite, il y avait l’escalier. Le fameux escalier de Mauthausen. A l’époque, il n’avait que 180 marches. C’est en mars 1942 que l’équipe des maçons de la carrière rectifia légèrement son profil et le porta à 186marches ; « notre » escalier, bancal, aux échelons disproportionnés (cinq ou six marches avaient plus de cinquante centimètres de haut) avait des paliers de terre battue. Nous appelions les jours de grands massacres : « offensive ». Bien sûr, nous avons connu des jours plus calmes, surtout lorsqu’il n’y avait plus de Juifs ou de condamnés à exécuter, mais avec de nouvelles arrivées, les « séances » recommençaient :
    – Je me souviens de la fin janvier 1942. Nous venions de connaître trois ou quatre jours relativement paisibles : seulement quelques morts ; juste ce qu’il fallait pour satisfaire les S. S. Pas trop d’énervement non plus. Des contrôles coulants : une pierre moyenne ou « molle » ne déclenchait aucune « grosse colère ». Un matin le calme fut rompu. Depuis deux jours des convois de Juifs étaient incorporés. Mauthausen débordait. S. S. et kapos allaient pouvoir s’en donner à cœur joie.
    – Ce matin-là, tout commença sur la place d’Appel, à la formation des
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