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Léon l'Africain

Léon l'Africain

Titel: Léon l'Africain
Autoren: Amin Maalouf
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puis, lorsqu’il fut au-dessous du garçon,
il dégaina, pointa son épée vers lui et cria :
    « Saute ! »
    Maddalena faillit s’évanouir. Elle se couvrit les
yeux. Moi-même, j’étais pétrifié. Pourtant, messire Jacopo, qui était sorti
pour accueillir son gendre, ne dit rien. Il semblait certes fort contrarié,
mais comme on peut l’être devant une misère quotidienne, non devant un drame.
Le petit Cosimo ne semblait pas plus surpris, ni plus impressionné. Posant un
pied sur la frise, il sauta dans le vide. Au dernier moment, son père, lâchant
son épée, le recueillit par les aisselles, le porta à bout de bras, l’éleva
au-dessus de lui.
    « Comment va mon prince ? » L’enfant
et le père riaient, de même que les soldats de l’escorte. Jacopo Salviati s’efforçait
de sourire. Me voyant arriver, il en profita pour détendre l’atmosphère en me
désignant cérémonieusement à son gendre :
    « Messire Jean-Léon, géographe, poète,
diplomate à la cour pontificale. »
    Le condottiere sauta à terre. Un de ses hommes lui
ramena son épée, qu’il rengaina en se présentant à moi avec une jovialité
excessive :
    « Je suis le bras armé de l’Église ! »
    Il avait les cheveux courts, une épaisse moustache
brune coupée sur les côtés et un regard qui me transperça plus sûrement qu’une
lance. Sur le moment, l’homme me sembla fort déplaisant. Mais je ne tardai pas
à changer d’avis, séduit, comme tant d’autres, par son étonnante faculté à
quitter son âme de gladiateur pour redevenir, une fois franchie la porte d’un
salon, un Florentin, un Médicis étonnant de finesse et de perspicacité.
    « Vous étiez à Pavie, m’a-t-on dit.
    — Je n’y suis resté que quelques jours, en
compagnie de messire Francesco Guicciardini.
    — Moi-même, je n’étais pas loin. J’inspectais
mes troupes sur la route de Milan. Quand je suis revenu, l’émissaire ottoman
était parti. Et vous aussi, je crois. »
    Il eut un sourire entendu. Pour éviter de trahir
le secret de ma mission, je choisis de me taire et de dérober mes yeux aux siens.
Il poursuivit :
    « J’ai appris qu’un message était parti
récemment de Paris pour Constantinople demandant aux Turcs d’attaquer la
Hongrie pour obliger Charles Quint à détourner son attention de l’Italie.
    — Le roi de France n’est-il pas prisonnier en
Espagne ?
    — Cela ne l’empêche pas de négocier avec le
pape et le sultan et d’envoyer ses instructions à sa mère, régente du royaume.
    — N’a-t-on pas dit qu’il était à l’article de
la mort ?
    — Il ne l’est plus. La mort a changé d’avis. »
    Comme je m’obstinais à n’exprimer aucune opinion
propre, me bornant à poser des questions, Jean m’interrogea directement :
    « Ne croyez-vous pas qu’il s’agit là d’une
bien étrange coalition : le pape allié à François, allié au Grand
Turc ? »
    Cherchait-il à deviner mes sentiments à l’égard
des Ottomans ? Ou à savoir ce qui avait pu se passer avec Haroun
Pacha ?
    « Je pense que le Grand Turc, aussi puissant
soit-il, n’est pas en mesure de décider de l’issue d’une guerre en Italie. Cent
hommes présents sur le champ de bataille sont plus importants que cent mille
hommes situés à l’autre bout du continent.
    — Qui est le plus fort en Italie, à votre
avis ?
    — Il y a eu une bataille à Pavie, et il faut
bien en tirer les conséquences. »
    Ma réponse lui plut visiblement. Son ton devint
amical et même admiratif.
    « Je suis heureux d’entendre ces mots, car, à
Rome, le pape hésite et votre ami Guicciardini le pousse à se battre contre
Charles et à s’allier à François, alors même que le roi de France est
prisonnier de l’empereur. Dans ma position, je ne puis exprimer mes réserves
sans donner l’impression de redouter l’affrontement avec les Impériaux, mais
vous vous rendrez compte avant longtemps que ce fou de Jean n’est pas dénué de
sagesse et que ce grand sage de Guicciardini est en train de commettre une
folie et d’en faire commettre une au pape. »
    Estimant qu’il avait parlé trop sérieusement, il
se mit à raconter avec force anecdotes sa dernière chasse au sanglier. Avant de
revenir subitement à la charge :
    « Vous devriez dire ce que vous pensez au pape.
Pourquoi ne viendriez-vous pas avec moi à Rome ? »
    C’était effectivement dans mes intentions de
mettre fin à mon trop long séjour forcé à
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